la poésie
palestinienne
de combat

pp. 61-62

                                                        

     Dans cette courte notice rappelant la récente publication de l'anthologie de la poésie palestinienne de combat (1), je ne répéterai pas ce que j'ai déjà écrit dans la longue analyse de cette production. Beaucoup de nos lecteurs ont dû certainement en avoir connaissance.

     J'aimerais tout simplement insister sur deux points que cette poésie palestinienne ne cessera pas avant longtemps de soulever.

     Ayant participé en décembre dernier à la « Première Rencontre des poètes arabes », j'ai suivi avec une attention particulière les débats qui ont eu lieu autour de ce problème.

     Il faut dire qu'à cette rencontre, l'appréciation de la poésie palestinienne de combat avait sensiblement évolué par rapport à ce qui avait été dit et écrit à ce sujet dans la presse et les revues du Proche-Orient arabe.

     Cette évolution serait-elle due aux circonstances quelque peu solennelles de la Rencontre, au fait que les débats étaient publics ? Je ne sais. En tout cas, pour la première fois, j'ai pu constater une quasi-unanimité autour de l'apport décisif de la poésie palestinienne à la poésie arabe et à la poésie révolutionnaire d'une manière générale.

     Les critiques souvent formulées auparavant quant au niveau esthétique de cette production ont été violemment écartées. En définitive, la poésie palestinienne acquérait enfin un statut d'égalité et formait de plein droit une province de la poésie arabe.

 

                                                        

     Le point faible essentiel, à mon avis, fut l'attitude paternaliste dont les poètes participant à ce débat entouraient cette cérémonie de couronnement.

     Un diplôme de mérite était donc délivré à cette poésie, vu l'évolution sérieuse de ses plus importants représentants, compte tenu des efforts qu'ils ont déployé pour rejoindre les normes actuelles de la poésie arabe « moderne ».

     Ce qui n'a pas été perçu, et qui me semble capital, c'est le caractère subversif de la poésie palestinienne de combat. Et quand je dis subversif, ce n'est pas tant du point de vue politique national, à savoir le danger que cette production représente pour le colonialisme sioniste, pour sa stratégie « d'assimilation nationale et culturelle » du peuple palestinien. Ceci est entendu et je crois l'avoir assez explicité dans mon analyse.

                                                

     La subversion dont je parle est une subversion à l'intérieur même de la poésie, de la littérature et de la culture arabes. C'est une subversion à l'intérieur de ces normes considérées aujourd'hui, par les représentants les plus brillants et attitrés de la poésie arabe, comme étant essentielles pour garantir à notre production poétique le niveau requis, la modernité, la profondeur et les exigences qui doivent marquer, selon eux, la véritable poésie.

     Il me semble ainsi que, dans la tentative de dépassement de la création académique et des débats académiques, beaucoup de nos poètes retombent dans un nouvel académisme qui ne fait que nous éloigner davantage du vrai débat : à savoir comment la poésie peut occuper pleinement sa propre tranchée dans le front général de lutte contre les multiples ennemis des peuples arabes. Comment la poésie arrivera, non pas à se transformer elle-même et à se dépasser en tant que forme d'expression en mouvement, non pas uniquement à transformer le poète et à guider étroitement sa réflexion et sa pratique, mais comment elle peut influer le cours de la lutte globale, à l'échelle d'un peuple. Voilà un problème qui nous est posé, à nous poètes arabes : la poésie palestinienne ayant contribué largement à nous le rendre plus clair, plus concret.

     Un deuxième point soulevé par cette production, et qui n'a pratiquement pas été perçu au cours de ces débats, se rapporte à une autre transformation que peut opérer la poésie et qui porte sur la langue d'abord et plus généralement sur la culture d'un peuple.

     L'exemple de la poésie palestinienne de combat est là pour nous montrer que la poésie est capable de capter le mouvement d'une langue et d'une culture nationales, pour en devenir une véritable source d'énergie, une force organisatrice accélérant ainsi le rythme de leur libération, de leur popularisation, de leur révolutionnarisation.

     Les poètes palestiniens, en revalorisant le patrimoine le plus dynamique de la culture du peuple, en le raccordant au dictionnaire nouveau créé par la résistance du peuple et de son avant-garde révolutionnaire, ont réussi à fixer en témoignages denses cette épopée de la renaissance nationale palestinienne et à lui donner culturellement une nouvelle et très forte impulsion.

     Ceci révèle le pouvoir qu'une poésie révolutionnaire peut avoir sur le cours de transformation de la sensibilité, de la langue et de la culture d'un peuple.

     Je dois rappeler, avant de terminer, combien cette poésie évolue vite. Le travail que j'avais terminé il y a moins d'un an me semble déjà dépassé (2). L'explosion créatrice que connaît la poésie palestinienne ne peut nullement étonner. Elle est sans aucun doute le reflet fidèle de cette accélération de l'histoire arabe qu'opère quotidiennement la révolution palestinienne.

                                                                                                                             a. laâbi
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(1)     En co-éditîon : Editions Atlantes, Casablanca — Editions P.J. Oswald, Honfleur, France. 1970. 156 p. 10 DH.
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(2)     J'espère pouvoir bientôt mettre au point une seconde édition de cette anthologie, complétée et mise à  jour.
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