The Bronx Journal
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Peinture : une
rétrospective exceptionnelle
Le génie multiforme d’Honoré
Daumier
Honoré Daumier, le plus illustre
caricaturiste du XIXe siècle, était aussi peintre, sculpteur, graveur
et dessinateur de génie. Pour la première fois depuis sa mort en 1879,
une grande rétrospective franco-canado-américaine, présentant toutes
les facettes de cette uvre multiforme, permet de découvrir, au Grand
Palais à Paris, ce génie créateur dans toute son étendue et sa
diversité.
Les efforts conjugués du musée d’Orsay
à Paris, du musée des Beaux-Arts du Canada à Ottawa et de la Phillips
Collection à Washington ont permis cette exceptionnelle réunion de
quelque 325 peintures, sculptures, lithographies et dessins venus des
musées et des collections privées du monde entier.
Ce que l’on découvre ainsi, c’est, au
royaume de l’art, une Comédie humaine à l’échelle de celle qu’un
autre Honoré, Balzac, a donnée à la littérature. Témoin engagé des
bouleversements politiques et sociaux de son temps, féroce critique des
moeurs de l’époque, observateur infatigable de la vie quotidienne
avec ses drames mais aussi ses divertissements, Daumier a produit
quelque 4000 lithographies, des centaines de dessins et aquarelles et
plus de 300 peintures, tardivement découvertes. Etrangement, ce dernier
aspect de son art - le plus important pour lui a longtemps été moins
apprécié en France, contrairement a l’Allemagne et au monde
anglo-saxon où la plupart de ses oeuvres peintes se trouvent aujourd’hui.
Le fils d’un vitrier marseillais devient
sculpteur
Né le 26 février 1808 à Marseille dans
une famille modeste, fils d’un vitrier qui tenta en vain de faire
carrière dans la littérature à Paris, Daumier arrive dans la capitale
avec sa famille en 1816. Dès l’âge de 12 ans il doit travailler,
comme commis, d’abord chez un huissier puis chez un libraire du Palais-Royal,
important foyer de la vie parisienne.
Auprès du premier il découvre ce monde de
la loi et de la justice qui lui inspirera plus tard de féroces
caricatures.
Tout près du second se trouvent d’importants
marchands d’estampes, et surtout le Louvre que le jeune Daumier
découvre avec enchantement. Très tôt il se lance lui-même dans le
dessin puis la lithographie.
Républicain convaincu, il participe aux
"Trois glorieuses", journées révolutionnaires qui secouent
Paris les 27, 28 et 29 Juillet 1830.
De la caricature politique...
C’est par la caricature, virulente, qu’il
poursuit ensuite son combat politique, fustigeant la corruption du
gouvernement et n’épargnant pas le roi Louis-Philippe, dont il
présente le visage sous la forme vite devenue célèbre d’une poire.
Ses lithographies paraissent dans l’hebdomadaire satirique La
Caricature, fondé en 1830, puis dans le quotidien Le Charivari, pour la
plus grande joie des Parisiens.
Parallèlement il sculpte, à la demande du
directeur de La Caricature Charles Philipon, une série de 36 petits
Bustes-charges des Célébrités du juste milieu, exposés en vitrine et
qui serviront aussi de modèles pour des séries de lithographies. Ces
extraordinaires portraits-chargés, modèles en terre crue coloriée,
représentent d’une manière burlesque mais étonnamment expressive
des parlementaires ou des notables de la Monarchie de Juillet. La
plupart ont été affublés de surnoms évocateurs tels que Le Vaniteux,
LObséquieux, Le Stupide, Le Gâteux, Le Têtu borné, Le Méprisant.
Une caricature particulièrement
iconoclaste du roi en Gargantua vaudra à Daumier six mois de prison,
purgés en 1832. Cela ne l’empêchera pas de publier en 1834 une
lithographie accusatrice, Rue Transnonain, le 15 avril 1834, montrant un
épisode tragique d’une insurrection où la troupe tira sur les
habitants d’une maison, tous massacrés.
Cette terrible lithographie est l’un de
ses chefs d’oeuvre.
... à la caricature sociale
La loi contre la presse, adoptée en 1835
après un attentat contre Louis-Philippe, interdit le journal La
Caricature et contraint Daumier à abandonner la caricature politique,
qu’il remplacera avec bonheur par la caricature sociale. II se
consacre alors à la satire de murs, présentant sa vision sarcastique
de la société contemporaine dans des séries de planches
régulièrement publiées dans Le Charivari avec de réjouissantes
légendes rédigées par Philipon. Les Gens de justice, juges et avocats,
seront parmi ses cibles favorites, de même que Les Bons bourgeois, dont
il raille la vanité ou Les murs conjugales, ou encore Les Bas-bleus,
ces femmes-auteurs à la manière de George Sand.
Au passage, il reçoit l’hommage de
Delacroix qui lui écrit, en 1846 : "il n y a pas d’homme que j’estime
et que j’admire plus que vous".
La passion de la peinture
Mais pendant toutes ces années, Daumier
rêvait de peinture. Il laissera libre cours à cette passion après
1848, alors que l’abdication de Louis-Philippe et l’avènement de la
IIe République comblent ses espoirs politiques.
Pas pour longtemps d’ailleurs, puisque le
2 décembre 1851 survient le coup d’Etat portant au pouvoir l’Empereur
Napoléon III. Une magnifique statuette en bronze, Ratapoil, immortalise
en 1891 le personnage de l’agent musclé de la propagande bonapartiste
déjà abondamment caricaturé par Daumier alors qu’il mettait en
garde les lecteurs du Charivari contre la menace bonapartiste.
La superbe série de peintures présentées
à l’exposition du Grand Palais (qui se poursuit jusqu'au début
février) couvre tous les grands thèmes qui ont inspiré Daumier: Les
Avocats, l’Emeute révolutionnaire, le petit peuple saisi dans sa vie
quotidienne (Un wagon de troisième classe, La Laveuse), L’Amateur d’estampes
ou Le Joueur d’échecs, le monde du théâtre, ses Saltimbanques et
ses valets de comédie (Crispin et Scapin, photo-ci-contre).
L’exposition s’achève sur l’admirable
cycle consacré à Don Quichotte. Des historiens d’art y ont vu un
véritable’portrait psychologique de Daumier, qui avait "l’âme
de Don Quichotte dans le corps de Sancho".
Daumier est mort le l0 février 1879. Un an
plus tôt, ses amis avaient organisé une rétrospective de son OEuvre,
présidée par Victor Hugo. Malade et presque aveugle, il n’avait pu
la voir.
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