La justice se prononce,
Papon se défile
Christian Capitaine
Bronx Journal Staff Reporter
Bordeaux, 12
janvier 1944. Dans les locaux de la préfecture de Gironde circule un
formulaire attesté par les hautes instances de l’État Français,
avec le Maréchal Pétain à sa tête. Voilà
près de quatre ans que le héros de Verdun décida de sceller la
collaboration avec l’ennemi nazi. La note ordonne
l’arrestation de trois cent dix-sept personnes. On les parquera dans
la journée dans la synagogue de Bordeaux, où deux jours durant, elles
n'auront aucune indication sur le sort qui leur est réservé. Pour ces
trois cent dix-sept français, dont le seul tort était d'être juif, la
journée se terminera dans des wagons de marchandises, sans chauffage ni
sanitaire, en direction des camps de la mort.
Au cours de cette même journée, la fameuse
circulaire atterrit sur le bureau du Secrétaire Général de la préfecture,
Maurice Papon. En bon
serviteur de l’État, il appose sa signature au bas de la page. En bon
serviteur de l’État, il applique les directives allemandes. Celles
qui ordonnaient l’arrestation d’hommes, femmes et enfants juifs.
Paris, 6
mai 1981. Le Canard Enchaîné publie des documents signés par Maurice
Papon, alors ministre délégué au budget du Gouvernement de Raymond
Barre, tendant a prouver sa responsabilité dans la déportation de 1700
juifs de Bordeaux. Parmi ces documents se trouve la circulaire de
janvier 1944.
Plus de
sept mois après la divulgation des informations par le célèbre
journal satirique, le 8 décembre 1981 précisément, Maître Boulanger
dépose la première plainte à l'encontre de l’ancien Secrétaire Général
de la Gironde pour crime contre l’humanité au nom de la famille
Matisson-Fogiel.
L’instruction
de l’affaire Papon peut commencer, plus de trente-sept années après
la signature de janvier 1944. Elle n’arrivera à son terme que le 21
octobre 1999 lorsque la Chambre criminelle de la Cour de cassation
rejettera le pourvoi de Maurice Papon après un jugement de la Cour
d’assises de Bordeaux du 2 avril 1998 condamnant l’ancien secrétaire
de Vichy à dix ans de réclusion criminelle pour “complicité de
crime contre l’humanité”.
Un demi
siècle aura ainsi été nécessaire pour reconnaître la responsabilité
d’un homme qui avait été vichyste et résistant au gré des événements
- comme beaucoup de futurs dirigeants français - et qui avait fait, sous la IVe
République, une carrière exceptionnelle. L’homme
pouvait se vanter d’avoir à sa disposition un impressionnant
certificat de bonne conduite. Préfet de Police sous de Gaulle, il
termina sa carrière d’homme politique comme ministre durant le
septennat Giscard. Mais l’Histoire a rattrapé Maurice Papon et au gré
d’une nouvelle lecture de la douloureuse historiographie française de
l’époque, une route menant à la justice a pu s'ouvrir. Elle
s’acheva par cet arrêt rendu le 21 octobre 1999. Maurice Papon dort
en ces jours dans une cellule de la prison de Fresnes pour son activité
de haut fonctionnaire autoritaire, efficace et peu soucieux de la portée
de ses agissements. Mais que la route fut longue.
Nous nous reviendrons pas sur les débats longs et
complexes qui ont animé la cour d’assises de Bordeaux d’octobre
1997 à avril 1998. La sentence est tombée. Les jurés, hommes et
femmes, ont jugé des faits qui appartiennent à une autre époque. Mais
ils demeurent imprescriptibles, malgré l’aura dont bénéficient les
serviteurs de l’État en France, peut-être davantage que dans les
autres démocraties occidentales.
Revenons plutôt sur les événements d’octobre 1999
et plus précisément sur les quelques jours qui ont précédé la
lecture du verdict de Bordeaux.
Ce dimanche 10 octobre, Maurice Papon, citoyen libre,
tient un conseil de famille dans sa résidence de Gretz-Armainvilliers,
en Seine et Marne. Sont présents ses enfants et ses petits enfants. Le
sujet qui préoccupe l’assemblée est quelle attitude adopter pour le
patriarche à quelques jours de l’examen du pourvoi en cassation par
la cour d’appel de Bordeaux. Maurice Papon ne se fait guère
d’illusion sur l’issue du pourvoi, ses avocats, Me Varaut et Me
Hemery, lui ayant annoncé, voilà deux jours , qu’il était fort
improbable que la cour casse le jugement de Bordeaux. La décision est
prise à l’issue de ce huis clos familial: la fuite.
Accompagné de ses fidèles, Maurice Papon prend la
direction de la Suisse.
L’Histoire retiendra sûrement la lenteur de la procédure
judiciaire qui aboutit à la condamnation de Maurice Papon. Mais elle
retiendra aussi qu’un État et ses acteurs, salis par quatre années
de collaboration, s’étaient décidés, le 2 avril 1998, à ouvrir un
horizon de justice.
Une étudiante
de Lehman à Paris
On commence ici une
collection de lettres de Natalie McCrea, étudiante de Lehman
College, à Paris pendant l’année scolaire 1999-2000.
Elle a promis d’envoyer à nos lecteurs du Bronx Journal
ses impressions qui, au cours de son séjour à Paris, évolueront.
Les lecteurs pourront se rendre compte des expériences
inoubliables qui se présentent à tout étudiant qui a le courage
de partir étudier “à l’étranger.” |
Journal de Paris No 1
07 septembre 1999
J’ai toujours désiré
aller à Paris; enfin j’ai eu l’occasion.
Mes parents soutiennent ma décision et ils promettent de m’aider.
J’arrive à Paris le 6
septembre à l’aéroport de Charles de Gaulle avec Abiba Kindo, une
autre étudiante de Lehman après sept heures dans l’avion.
L’expérience est effrayante.
Personne ne vient nous chercher. Un taxi nous mène à nos chambres
réservées par Micéfa, l’organisation qui s’occupe des étudiants de
CUNY qui participent au programme d’échange.
J’entre
dans ma chambre et je pleure. Je
me demande pourquoi j’avais décidé de venir ici.
Pourquoi ne suis-je pas restée à Lehman? Mais je sais pourquoi j’ai fait ce voyage, et je sais
pourquoi je vais rester. Je
dois vivre mon rêve et réussir ma “mission.”
Cette première nuit, je me suis endormie en pleurant.
Journal de Paris No 2
15 septembre 1999
Paris est absolument différent
de ce que j’avais pensé. Abiba
et moi, nous trouvons qu’il est difficile de nous adapter tout de suite
à la vie de cette ville. Nous
n’osos pas le dire à haute voix, mais nous pensons que nous voulons
rentrer chez nous. Cette expérience me fait comprendre que mes parents, ma
famille, mes amis, et même ma maison sont précieux et me manquent
terriblement.
Paris est différent de New
York. Il faut s’adapter à toutes sortes de petites choses, même
dans le métro: on achète un
billet au lieu d’un jeton ou la carte métro de NY, et
puis on le présente
quand il faut changer de ligne, ou pour sortir.
Les rues et les voitures sont
plus petites qu’à NY, avec quelques exceptions comme l’Avenue
des Champs-Élysées où il y a trop de magasins qui vous tentent avec de
beaux vêtements; il y a même un McDonald.
Je me sens un peu mal à
l’aise quand les gens ici me
fixent plus ouvertement que nous à NY.
Et ils nous aident beaucoup...même un peu trop.
Ils veulent nous donner leur numéro de téléphone tout de suite--quelle
surprise! Mais je commence à
m’habituer à ma vie ici.
Journal de Paris No 3
30 septembre 1999
Je pense que les Parisiens
sont très intéressants. Eux,
ou plutôt les Français en général, n’ont pas l’air de savoir
s’ils aiment ou s’ils détestent les États-Unis.
Ils montrent nos films et nos émissions à la télé, mais ils
critiquent l’adoption de mots anglais. Mais comme tout le monde, je trouve que Paris est très, très
beau avec ses jardins, son architecture et ses ponts. Le musée du Louvre est exquis.
Le dimanche, les étudiants ont l’entrée gratuite.
Montmartre, d’où vous pouvez regarder tout Paris, est aussi très
beau. L’Église du Sacré-Coeur s’y trouve, avec ses magnifiques
vitraux. On se demande
combien d’années il a fallu pour construire ce beau monument.
Je me promène partout, et je commence à me sentir mieux.
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