souffles
numéro spécial 15, 3e trimestre 1969

jamal bellakhdar : le mythe du miracle économique israélien
et le rôle du capital étranger
pp. 68-78


     Dans une récente tournée en Afrique, une mission israélienne de 8 membres (qui a visité successivement la Zambie, l'Ouganda, le Kenya et l'Éthiopie) - s'efforçant d'établir une analogie entre Israël et les pays visités - a présenté Israël comme «exemple d'un développement économique accéléré».

     «Comme les Etats Africains, Israël est un pays en voie de développement. Bien qu'avec des cadres différents, les Africains refont avec un décalage de quelques années la même expérience de développement que celle que nous avons tentée. Nous pouvons donc leur éviter des erreurs...».

     Quelques années auparavant, Eshkol, alors Ministre des Finances, déclarait : «L'afflux de capitaux étrangers est indispensable pour un pays comme Israël». En même temps, le formidable appareil de propagande sioniste en Europe développait aux yeux d'une opinion conditionnée le mythe d'Israël état démocratique, voire même socialisant, et du kibboutz, qu'il n'hésita pas à comparer au kolkhose soviétique. Il n'est pas moins rare d'entendre affirmer dans les milieux officiels de Tel-Aviv que la société israélienne «d'où toute discrimination est absente, constitue un exemple vivant d'égalité sociale, propre à séduire les nouvelles nations d'Afrique».

     Pourtant, les discriminations qui existent entre les différentes échelles de la hiérarchie sociale et l'origine géographique des immigrants, le régime inhumain imposé aux minorités arabes sont là pour démontrer que «l'exemple paraît contestable» (professeur soviétique Debetz au colloque de l'U.N.E.S.C.O. sur le racisme: 2 septembre 1967) et qu'Israël ne le cède en racisme qu'à l'Afrique du Sud.

     De la même façon, l'importante masse de capitaux occidentaux qui sont investis en Israël, la faible importance des kibboutzims (les kibboutzims touchent moins de 5% de la population) et leur localisation le long des frontières d'Israël suffisent amplement pour contester et le «dynamisme économique israélien» et son caractère socialisant.

     Exploitant l'ignorance dans laquelle l'opinion occidentale est maintenue sur cette question, les apologistes de l'Etat sioniste en font «une pauvre petite nation s'accrochant au désert pour en faire sortir quelque chose», cernée, assiégée par des colosses rendus agressifs «par leur incapacité chronique à sortir du sous-développement». Pour passer de l'incapacité des états à celle des hommes, il n'y a qu'un pas à franchir. Qui n'a pas eu l'occasion de voir en France, au moins une fois, dans la presse, dans les émissions de télévision ou aux actualités cinématographiques, ces montages de clichés ou de séquences dans lesquels l'image classique de la femme-soldat israélienne, ouvrière au kibboutz de surcroît, fait contraste avec celle de l'arabe «fainéant et fataliste».

     Ainsi donc, pour rallier les uns on s'adresse à leurs sentiments anti-arabes. Pour convaincre les autres on parle de génocide, de persécutions hitlériennes et tsaristes. Devant les gens de gauche on développe les thèses du «socialisme israélien». Devant les bailleurs de fonds on énumère les multiples avantages d'une économie libérale. Aux pauvres on parle d'égalité et de justice sociale. Aux gens de couleur enfin, on parle de l'appartenance commune à un même monde celui qui se débat pour sortir du sous-développement.

     Sur toutes ces questions il convient de faire le point:
 

I - ISRAEL, ENCLAVE DE L'OCCIDENT CAPITALISTE AU MOYEN-ORIENT

     a) NI SOUS-DEVELOPPE, NI EN VOIE DE DEVELOPPEMENT

     En fait, Israël ne présente aucun caractère pouvant l'apparenter aux pays dits «sous-développés» ou du Tiers-Monde. De plus, paradoxalement, Israël est un état du tout au tout étranger au Moyen-Orient. En effet, c'est un «état de type occidental et quasiment européen (...) dont la force au Moyen-Orient tient surtout à ses caractères occidentaux d'organisation et d'évolution sociale, ce qui se manifeste nettement dans le fait qu'il est sans doute le plus stable socialement et politiquement des pays de cet Orient arabe; c'est aussi celui où la masse de la population jouit du niveau de vie et d'éducation le plus élevé en moyenne» (GOTTMAN, «Etude sur l'Etat d'Israël et le Moyen-Orient». Selon une statistique officielle, 2.000 nouveaux millionnaires ont édifié leur fortune au cours des toutes dernières années.

     D'autre part, l'organisation de la vie sociale dans tous les domaines s'apparente à celle qui a cours dans les pays occidentaux. Israël possède par exemple des syndicats de type américain ne représentant pas seulement les intérêts de la classe ouvrière, mais étant aussi les employeurs d'un nombre important de travailleurs et de professions libérales. Israël présente également une structure de la main-d'oeuvre active qui correspond à celle des pays avancés, c'est-à-dire une part réduite dans le secteur primaire et environ la moitié de la population active dans le secteur des services (secteur tertiaire).

     Ainsi, Israël est bien plutôt un prolongement de l'occident capitaliste, dans une région à laquelle il est totalement étranger. Et si Israël, dans tous les domaines de la vie sociale, manifeste par rapport à ses voisins une supériorité énorme, celle-ci ne fait qu'exprimer le fait que l'Etat sioniste est un «rejeton» de l'Europe au sein du monde arabe.

     Bettelheim, dans «Planification et croissance accélérée», définit les pays sous-développés comme des «pays exploités dominés et à économie déformée». Or, Israël ne correspond nullement à cette définition: contrairement à ce qui a lieu dans les pays sous-développés où un pays avancé investit des capitaux dans le but de les faire fructifier par l'abondance de matières premières et de main-d'oeuvre à bon marché soumettant cette dernière à une exploitation plus ou moins apparente, en Israël, on ne peut trouver trace de ces traits fondamentaux.

     Bien qu'en Israël «tout est dû aux dons et investissements étrangers» (Isaac Azouri), cette injection de capitaux ne possède pas la même fonction que celle par laquelle sous prétexte de participation aux programmes de développement les pays avancés s'accaparent les richesses et les potentialités économiques des pays sous-développés. Ici, ces dons et investissements, loin de freiner ou de déformer l'économie d'Israël, l'ont au contraire créée de toutes pièces. Du point de vue économique pur, Israël n'est pas plus exploité par le capital international que l'Allemagne de l'Ouest ne l'est par les capitaux américains. Tout ce que les monopoles tirent de leurs placements d'argent, c'est de l'argent, dans le cas d'Israël comme dans celui de la R.F.A. En effet, on ne peut pas dire qu'Israël soit pour les puissances économiques une source intéressante de matières premières. Israël ne possède en effet ni minerais stratégiques, ni pétroles. On ne peut pas non plus avancer qu'il soit un marché et un débouché important pour l'écoulement des marchandises occidentales (en dehors des armes). Or, précisément, ce sont là les deux facteurs essentiels qui attirent le néo-colonialisme économique.

     b) POURQUOI ALORS CET AFFLUX DE CAPITAUX AMERICAINS, ALLEMANDS, ANGLAIS ET FRANÇAIS, alors qu'à première vue l'Etat sioniste ne semble pas être un champ d'opérations rentables dans l'immédiat pour le néo-colonialisme économique?

     L'erreur à ne pas commettre en voulant apporter une réponse à cette question, serait de dresser un parallèle entre Israël et les jeunes nations d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine, devenues la proie du néo-colonialisme économique. Ils n'ont rien de comparable, car ce que recherche l'impérialisme en Israël, ce n'est pas de piller les matières premières de la terre palestinienne, comme il le fait ailleurs dans le monde, mais fondamentalement de s'assurer une présence physique, un «pied-à-terre» dans cette région du monde où la montée des nationalismes locaux (arabes en particulier) constitue une menace constante pour les prérogatives économiques que possède l'Occident au Moyen-Orient. Israël, c'est un instrument entre les mains de l'Occident précisément à des fins néo-colonialistes.

     De la même façon qu'il utilise la Grèce, la Turquie et l'Iran comme ceinture anti-soviétique, l'impérialisme se sert d'Israël comme une force de répression dirigée contre les mouvements de rénovation sociale arabes qui, à tout moment, peuvent remettre en question les concessions économiques importantes qu'il possède au Moyen-Orient. Un récent article du périodique «Echos» montre fort bien le lien qui existe entre les questions pétrolières et la mission confiée par l'impérialisme à Israël: «Une défaite d'Israël élus sûrement que sa victoire conduirait, redoute-t-on dans les milieux pétroliers, au renversement à bref délai de l'ordre établi dans les pays riches en hydrocarbures».

     Et plus loin: «Les milieux pétroliers internationaux, auxquels leur métier commande de ne tenir compte de données politiques que dans la mesure où elles constituent des facteurs économiques, manifestent une inquiétude croissante des répercussions qu'aurait une défaite israélienne sur la stabilité de l'approvisionnement énergétique de l'Europe».
 

Approvisionnements pétroliers des pays du Marché Commun en provenance du Moyen-Orient
France
51,5%
R.F.A.
42,1% 
Italie
79,7% 
Pays-Bas
78,5% 
Belgique
78,2%

 
Part du Moyen-Orient dans la production des Grandes Compagnies
British Petroleum
70% 
Cie Française des Pétroles
75 %
Gulf
66%
Mobil 45% 
Shell 27% 
Standard Oil 23 %

     Ainsi, le rôle d'Israël est celui d'une sentinelle avancée du monde capitaliste dans cette région du monde. Israël, c'est un état garnison dont la mission consiste à veiller au maintien de l'ordre économique établi au profit de l'Occident et au détriment des pays arabes; les prérogatives qu'il possède dans cette région du monde, l'Occident y tient particulièrement, ce qui l'oblige à être très vigilant.

     Ainsi s'expliquent les interventions américaines en Grèce, en Turquie (où quelques années après le début de la guerre froide, le Président Mendérès fut renversé à la veille de son départ à Moscou), en Iran où Mossadegh fut combattu et renversé parce qu'il avait osé nationaliser les Compagnies pétrolières étrangères, dans divers pays arabes où les américains s'appuient sur des forces réactionnaires. Ainsi s'explique la lutte qui a opposé les forces progressistes d'Arabie du Sud et d'Aden, clé du pétrole, à l'impérialisme anglais. Ainsi s'explique l'utilisation constante de l'Etat d'Israël comme abcès de fixation, comme prétexte permanent à l'intervention occidentale pour maintenir les intérêts que possède le capitalisme au Moyen-Orient.

     «Dans leur esprit (celui des impérialistes), la fondation en 1948 de l'Etat d'Israël devait, en tronçonnant la géographie arabe, donner à ce dessein un caractère en quelque sorte irrévocable. Il fallait en effet enraciner en Orient arabe par le fer et le feu un corps étranger dont la fidélité serait garantie par l'horreur réciproque du sionisme et du nationalisme arabe, et dont la fragilité serait un gage d'allégeance; l'Amérique aurait ainsi une occasion permanente d'intervention». (JEAN DUBREUIL: le Pétrole arabe dans la guerre).

     Rien d'étonnant alors à ce que les monopoles internationaux par leurs capitaux, aident à la survie de ce «rejeton» de l'Occident qui défend si bien leurs intérêts. C'est parce qu'ils savent que c'est un état politiquement et économiquement non viable qu'ils contribuent par leurs capitaux et leur solidarité agissante à consolider cet état qui s'édifie territorialement par l'agression et l'expansion et ne survit économiquement que grâce aux dons et emprunts.
 

Avec qui commerce Israël (répartition en 66-67)
Pays
Import. en % 
Export. en %
Etats-Unis
Europe
   Grande-Bretagne
   Autres pays de l'A.E.L.E.
   Allemagne Féd.
   Pays-Bas
   France
   Suisse
   Italie
   Belgique
Japon
Reste du monde
27
53,5
19
8
8
4,5
4
3,5
3,5
3
2,5
17
16
57
12,5
10,5
10
6
4
5
2,5
6,5
4
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II - ISRAEL, ETAT SUBVENTIONNE

     a) TOUT D'ABORD, QUELQUES DONNEES ELOQUENTES

     En échange des éminents services qu'il rend à l'impérialisme mondial comme agent et prête-nom, Israël reçoit en retour une aide et une rémunération substantielle. Tout d'abord, une aide diplomatique et une caution dans les grandes instances internationales. Ensuite - et c'est là l'objet de notre article - une aide financière et économique importante.

     Ainsi, de 1943 à 1964 «les investissements étrangers, y compris les transferts et les placements à long et moyen terme, approchaient les 6 milliards de dollars» (Shaul Zarhi), soit approximativement 400 millions de dollars par an.

     Dans ce chiffre ne sont pas compris bien sûr les biens des arabes expulsés et que l'Etat sioniste s'est approprié: ces biens s'élèvent à 5 milliards, 800 millions de dollars, leur revenu annuel atteignant 160 millions de dollars en 1947.

Dès la proclamation unilatérale de l'indépendance d'Israël, les U.S.A., dévoilant ainsi leur intention de soutenir la situation artificielle et illégale créée par cette déclaration, promettaient par la voix de leur Président Truman une allocation de 100 millions de dollars à l'Etat sioniste (lettre du 29 novembre 1948 du président Truman à M. H. Weizmann). Quelques années plus tard, avec l'accord(*1) signé en 1952 (puis ratifié en 1953) entre le gouvernement d'Israël et celui de la R.F.A., Israël s'assurait une source de revenus et de subventions importante - cet accord prévoyait que l'Allemagne versera en 12 ans 3.480 millions de marks (821 millions de dollars) dont 480 millions (107 millions de dollars) à des organisations juives en dehors d'Israël, à titre de réparations de guerre. La même année (1952) d'après l'aveu de Shaul Zahri «les importations de capitaux ont représenté 34,3 % du revenu national brut; ce taux qui a toutefois diminué, reste encore très important actuellement: 24,3 % du revenu en 1964, soit 564 millions de dollars. Ces injections de capitaux ont contribué tout à la fois, a combler le déficit chronique de la balance commerciale (déficit de 528 millions de dollars en 1964 contre 315 millions en 1959 d'après les statistiques de la Banque d'Israël) et à créer un état soutenu de croissance pour l'absorption de l'immigration, malgré l'insuffisance de l'épargne nationale et les faiblesses de structure de l'économie israélienne.

     A cette somme importante d'investissements viennent s'ajouter les emprunts gouvernementaux accordés par les alliés d'Israël et des sommes substantielles collectées par les organisations sionistes dans divers pays, les dons les plus importants et les plus réguliers étant ceux recueillis aux Etats-Unis par le «United Jewish Appeal». Enfin les dons accordés régulièrement par les U.S.A. à Israël au titre de l'assistance technique et économique: ces dons avaient atteint 63,5 millions de dollars en 1951-52 et 70,2 millions en 1952-53; en 1953-54 ils sont tombés à 52,5 et en 1959-60 à 9,5 millions de dollars.

     En ce qui concerne les investissements effectués par les pays étrangers en Israël, voici comment ils sont répartis:

     Sur le total des investissements étrangers, 53,5% sont américains, 40,2% sont européens et 5% sud-africains. Israël a, de surcroît, contractée une dette extérieure directe s'élevant à 348,7 millions de dollars à la fin de 1956 et à 668,3 millions de dollars à la fin de 1959, ces divers emprunts ont été accordés là encore par l'Occident.

     La revue israélienne «Haolam Hazé» dans son numéro 421 de 1964, souligne que la part qui revient à chaque israélien rien que pour les aides américaines, atteint 60 dollars par an (et a même atteint certaines années 150 dollars) alors qu'en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, pour les pays qui reçoivent une aide U.S., cette part ne dépasse pas 2 dollars par an.

     b) LES CHIFFRES POUR L'ANNEE 1964

     La balance commerciale. Nous l'avons déjà dit, en 1964, les exportations n'ont couvert que 44% des importations créant un déficit de 528 millions de dollars.

     Malgré cela, les capitaux étrangers ont largement couvert ce déficit créant même un solde positif de 600 millions la même année grâce aux aides reçues de l'extérieur; les plus importantes sont les suivantes:

Commerce entre la France et Israël (en francs)
(en % du commerce extérieur israélien)
Importations israéliennes 4%

Produits sidérurgiques: 25 millions
Voitures: 20 »
Textiles, bois, verre: 14 »
Produits chimiques: 14 »
Orge: 10 »
Pièces d'avions: 10 »
Aluminium: 8 »
Bas de femmes: 5 »
Exportations israéliennes 4%

Agrumes: 36 millions
Jus d'agrumes: 5 »
Diamants taillés: 30 »
Divers: 40 »

III - UNE ECONOMIE QUI N'A PAS A SE SOUCIER D'INDEPENDANCE ECONOMIQUE

     a) L'AGRICULTURE

     14% des exportations israéliennes en 1965 ont porté sur l'agriculture (agrumes principalement: elles occupent 20.000 personnes). Contrairement au secteur industriel, elle est restée ce qu'elle était en Palestine arabe, parce que sans profits importants pour le capital: travailler la terre simplement pour renverser la «pyramide juive» de Ber Borochov et rétablir une structure de classes ordinaire (avec ouvriers et paysans) n'a pas attiré beaucoup les nouveaux immigrants qui ont préféré de loin la ville. Ainsi 16,1% seulement des céréales nécessaires à la consommation nationale sont produites sur place.

     Dans les 15% de la population employée par l'agriculture, on compte la quasi-totalité de la population arabe d'Israël (ouvriers agricoles).

     b) L'INDUSTRIE

     En 1964-65, sur un total de 4.188 millions de livres israéliennes:


     Il apparaît donc que l'industrie israélienne - si elle est très diversifiée - est caractérisée cependant par l'absence de toute industrie lourde qui reste actuellement une des conditions nécessaires de toute indépendance économique. L'inexistence de minerais n'est pas en soi un argument; il suffit de voir l'exemple d'un autre pays capitaliste: le Japon.

     D'ailleurs, la consommation d'électricité dans les différents secteurs exprime bien ce déséquilibre dans l'industrie.

     En 1964, l'industrie consommait 37% seulement de la production (la même année, dans un autre pays capitaliste, la France, ce taux était de 70%), 23% étaient destinés à l'irrigation et 40% à la consommation commune (services publics, collectifs et usage domestique).

     c) Beaucoup plus expressif encore est la situation de l'emploi: 9,6 % de la population travaillent dans le secteur primaire, 25% dans le secteur secondaire, 49% dans le secteur tertiaire. Ainsi l'Etat israélien comporte un très fort secteur tertiaire (services, bureaux, etc...) dont rien ne justifie la présence sinon la volonté de donner un travail facile moins rebutant que la terre ou l'usine et qui seul retient en Israël un grand nombre de personnes qui sans cela préféreraient aller chercher fortune dans un autre pays de l'occident.
 

IV - LE ROLE ASSIGNE AUX CAPITAUX ETRANGERS

     a) ASSEOIR SOLIDEMENT UN ETAT CAPITALISTE TOTALEMENT ETRANGER A LA REGION

     Cette injection massive de capitaux occidentaux a eu pour première conséquence de faire perdre à l'Etat israélien le contrôle de son économie. Cette hypothèque - car c'en est une - concédée consciemment par les dirigeants sionistes au capital international, avait pour but essentiel de transformer irréversiblement la société et les structures sociales dans cette région du monde, en suivant le processus capitaliste. Il était important pour l'impérialisme et pour le sionisme (leurs intérêts étant étroitement liés) d'éliminer définitivement tout germe(*2) pouvant éventuellement remettre en question non seulement le rôle de policier confié à Israël, mais également du même coup tous les intérêts qu'il possède au Moyen-Orient.

     Il s'agissait pour l'impérialisme et le sionisme de prévenir en quelque sorte une «mutinerie». A cette fin, rien de plus efficace que d'identifier les intérêts et les structures sociales, les systèmes économiques et les schémas de développement. Dans cette région où, tôt ou tard - sous la pression des peuples - le socialisme sera adopté comme voie de développement par tous les états arabes, asseoir solidement une économie de type capitaliste, c'est maintenir un antagonisme permanent, c'est introduire un élément exogène, un foyer de contagion, un «réservoir de virus» avec lequel toute coexistence serait rendue impossible. Tel était l'objectif non avoué de l'impérialisme mondial lorsqu'il soutint la création d'Israël au lendemain de la guerre mondiale. Tel était également le plan du sionisme qui - pour que soit acceptée et même cautionnée sa gigantesque entreprise contre le peuple palestinien - devait se faire un allié puissant. Cet allié - il ne pouvait y en avoir qu'un susceptible de se prêter à cette machination, pour peu que des intérêts lui soient assurés - c'est l'impérialisme mondial. C'est ainsi que le sionisme alla offrir successivement ses services à la Grande-Bretagne puis aux U.S.A. comme prix de leur complicité. C'est ainsi que furent établis des liens de vassalité entre le sionisme et l'impérialisme. Deux préalables étaient cependant indispensables pour la pleine réussite de ce plan:

1º) éviter que cet élément étranger, «cet intrus», soit rejeté hors de cette région du monde, tout comme une épine d'oursin, si elle venait à s'introduire dans un tissu vivant, serait expulsée par l'organisme, parce qu'elle perturbe son fonctionnement physiologique normal. Pour cela, il fallait que cet état soit puissant et fort pour s'imposer dans cette région du monde et y accomplir sa mission.

2º) éviter que des mouvements oppositionnels internes viennent contrecarrer ce plan: en quelque sorte, prévenir une «mutinerie»: pour cela, il était indispensable d'imposer aux exploités la coexistence de classe avec les exploiteurs.

     b) NEUTRALISER UNE CLASSE EN IMPOSANT LA PAIX SOCIALE LES INSTRUMENTS DE CETTE POLITIQUE: L'HISTADROUTH ET LE MOUVEMENT DES KIBBOUTZ

     A cette fin, on eut recours à la corruption et à la mystification. Rappelons que tous les partis politiques en Israël de la droite à la gauche (à l'exception d'une fraction des communistes) et la grosse centrale ouvrière, l'Histadrouth - censée défendre les intérêts du prolétariat - défendent le principe de la coexistence pacifique entre les classes jusqu'à ce que l'Etat soit solidement assis. «La lutte de la classe ouvrière, de ce fait, se trouve indéfiniment reportée à une epoque mythique où la paix étant faite avec l'extérieur, la lutte pourrait s'engager en Israël, sans menacer l'existence de l'Etat juif».(1) La mystification sioniste permet donc à la bourgeoisie israélienne de s'assurer à jamais la paix sociale en même temps qu'elle permet à l'impérialisme de réaliser ses noirs desseins.

     Pendant cc temps, le répit que la coexistence de classe lui assure, la bourgeoisie l'emploie à installer des structures économiques et sociales qui, en emprisonnant dans un gigantesque réseau d'intérêts et de complicités tout ce qui dans un proche avenir peut entrer en contestation avec elle, lui assure une sécurité définitive.

1º) Ainsi nous pouvons affirmer que le kibboutz fait partie de cette mystification idéologique:

     «L'histoire des kibboutz (et en fait l'histoire de la gauche sioniste) est l'histoire d'une social-démocratie corrompue par le nationalisme et les dures réalités économiques du régime capitaliste».(2) C'est aussi l'histoire de la neutralisation de toute une classe par son intégration à un système d'intérêts; d'abord voués à la production agricole, ils abandonnent rapidement cette activité peu compétitive, pour la petite industrie. La petite population du kibboutz ne constituant pas une force de travail suffisante, les kibboutzims furent contraints de louer de la main-d'oeuvre des villes avoisinantes. «Ainsi la société communautaire des kibboutz (constituée au départ de paysans exploités) devient un exploiteur communautaire de main-d'oeuvre louée» (Weinstock).

2º) Par un processus identique, la classe ouvrière israélienne se trouve aujourd'hui neutralisée. L'instrument utilisé à cette fin fut créé de toutes pièces en 1922, il s'agit de la Histadrouth.

     Rappelons qu'aujourd'hui, la Histadrouth (Organisation générale des travailleursJuifs de Palestine) possède une industrie géante, des banques, des navires, des compagnies aériennes, la plus grande entreprise de construction d'Israël, la plus grande compagnie d'assurance-maladie, enfin une part importante dans le capital de toutes les branches économiques du pays. Avec l'agence juive et le gouvernement israélien, elle constitue l'une des trois structures politiques fondamentales d'Israël. Son caractère sioniste est beaucoup plus important que son caractère syndical; d'ailleurs, lorsqu'elle fut fondée en 1922, elle fut instaurée non pour organiser et défendre les intérêts de la classe ouvrière juive, mais pour la créer. Les travailleurs arabes en furent exclus par principe: au cours des années vingt et trente, son mot d'ordre fut «réserver le travail aux juifs».

     Sont-ce là des mots d'ordre militant en faveur de la justice et de l'égalité sociale?

     Est-ce là un exemple d'organisation à l'avant-garde de la lutte contre les classes exploiteuses?

     c) LES RESULTATS

     Les conséquences de cette paix sociale, les voilà. Bien sûr, dans ce travail de sape du mouvement revendicatif, le capital étranger avait un rôle important à jouer: celui d'un catalyseur. Eric Rouleau nous l'explique:

     «Libéraliser l'économie pour rassurer les bailleurs de fonds améiicains, anglais et français, (...) offrir aux immigrants fortunés la possibilité de faire fructifier leur argent (...), l'Histadrouth se transforme progressivement en une centrale patronale intimement liée au secteur privé. Ce même secteur privé devint peu à peu majoritaire au sein de l'économie israélienne (...) la grande bourgeoisie se développa et s'affirma, soit dans le cadre naturel des institutions, soit par des méthodes peu reluisantes, mais apparemment très répandues, de spéculation, de corruption et de fraude fiscale».(3) Les disparités sociales vont en s'accentuant. L'afflux des capitaux étrangers suscite une forte poussée inflationniste (le coût de la vie augmente de 16 % par an).

     «Qu'on le déplore ou non, les Israéliens ont en effet édifié un état capitaliste avec ses faiblesses et ses qualités, ses institutions hiérarchisées, sa bureaucratie coiffant une société fortement stratifiée».(4)

     Tout cela ne manque pas de nous rappeler certains schémas de développement propres à des pays comme l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada, au début de ce siècle, et où le mouvement revendicatif a été annihilé ou muselé.

     d) ENCORE DES CHIFFRES: LE BUDGET - LES DEPENSES MILITAIRES

     Actuellement, 57 millions de livres israéliennes seulement appartiennent à la Banque d'Israël. 182 millions de livres israéliennes sont contrôlées par cette banque, mais ne lui appartiennent pas. Enfin, 436,4 millions de livres israéliennes ne sont ni possédés, ni contrôlés par la Banque d'Israël (ces chiffres sont donnés par Isaac Azouri).

     Le budget israélien est divisé en deux parties:

     Il faut savoir que, si le budget ordinaire est entièrement couvert par la fiscalité israélienne, le budget de développement est assuré à 49% seulement par l'épargne nationale, le reste (51%) l'étant par divers fonds venus de l'étranger.

     En 1964, 31% du budget était consacré aux dépenses militaires.

     Dans le nouveau budget 1968-69, qui est un budget de guerre, «les dépenses prévues sont de l'ordre de 6 millions de livres israéliennes, ce qui représente 40% d'augmentation par rapport au budget 1965-66, alors que la production nationale ne s'est pas accrue de 0,3%» (intervention du deputé communiste Touibi à la Knesset, lors de la discussion du budget). Ce budget, qui s'appuie sur les investissements étrangers, est le reflet cie la course aux armements en Israël: le budget officiel du Ministère de la Défense représente 2 milliards 245 millions de livres israéliennes, soit environ 200.000 livres par heure.
 

V - EPILOGUE

     De la sorte, bien sûr, l'économie israélienne est étroitement dépendante de l'aide qui lui parvient de l'étranger. C'est là la faiblesse la plus caractéristique de l'économie israélienne. Cette faiblesse est lourde évidemment d'implications et de conséquences, car elle place Israël dans une situation où «toute interruption brutale de l'aide étrangère risque de plonger l'économie dans une phase de récession et de compromettre non seulement le standard de vie de la population, mais aussi et peut-être surtout, les résultats déjà acquîs en matière «d'absorption des nouveaux venus» (SHITON: immigration et naissance).

     Ainsi, depuis la fondation de l'Etat d'Israël, l'économie de celui-ci n'a guère été viable que grâce aux subsides extérieurs. Israël apparaît donc comme suspendu dans son existence même à l'aide économique et financière qu'il reçoit de l'étranger.

     Aussi, la définition qu'en donne Gottmann «Israël est un état subventionné» détermine avec exactitude le caractère fondamental qui spécifie cet état; cette définition a l'avantage de montrer qu'Israël est un type d'état particulier, plus précisément unique et auquel on ne peut trouver d'exemple comparable.

     Mais, par-dessus tout, ce qu'il est important de savoir, c'est que la mainmise qu'exerce le capital international sur l'économie israélienne, n'a rien d'analogue avec celle des capitaux occidentaux sur l'économie de nombreux pays sous-développés. En effet, alors que dans ces pays ces capitaux se proposent - sous prétexte de participer aux plans de développement - pour investir dans certains secteurs que, tôt ou tard, ils finissent par contrôler à leur seul profit, en Israël, c'est le sionisme qui a fait appel à ces capitaux et qui leur a créé toutes les conditions favorables à l'implantation d'une économie capitaliste. D'emblée, le capital international a pu ainsi s'introduire dans tous les secteurs de l'économie. En échange, le sionisme demandait à ce capital de remplir une mission bien précise: dépersonnaliser la Palestine de 1948.

     Cette considération est importante car de nombreux militants de la gauche en Europe, qui reconnaissent le caractère agressif d'Israël et condamnent son expansionnisme, font l'erreur grave de décharger entièrement l'idéologie sioniste de ses responsabilités dans le caractère belliciste de l'Etat d'Israël, en les transférant simplement sur le dos de l'impérialisme. Ainsi, par exemple, le raisonnement qui consiste à dire que la politique pro-impérialiste «actuelle» de l'Etat d'Israël n'est que le résultat de l'emprise exercée sur l'économie nationale par les capitaux américains, aboutit finalement à assimiler l'Etat d'Israël à tous les régimes réactionnaires qui sont, par suite d'une forte dépendance économique, dans le sillage des U.S.A.

     Ce cheminement dans le raisonnement conduit ces militants - une fois convaincus que le seul responsable, c'est l'impérialisme américain - à accréditer la thèse que le sionisme n'est qu'une réponse à l'antisémitisme.

     Il convient d'approfondir les analyses et de considérer que le sionisme, dans son essence même, se trouve être une idéologie impérialiste et raciste; que le sionisme en aucune façon ne peut être la doctrine de l'ensemble d'une communauté, car, en elle-même, elle contient les principes de l'exploitation d'une classe par une autre et de la domination d'un peuple par un autre.

     Apprécier les responsabilités à leur juste valeur. Ne pas se contenter de placer sur la banquette des accusés l'impérialisme seul, mais également inculper avec lui l'idéologie sioniste, c'est déjà faire un grand pas dans la voie de la compréhension des thèses arabes.
 


*1 - implicitement, cet accord reconnaissait le mouvement sioniste international et l'Etat d'Israël comme représentants de tous les citoyens juifs du monde, qu'ils soient allemands, polonais, hollandais ou d'autres nationalités. En réalité, c'était un acte politique volontaire. Au-delà de la simple réparation, les alliés occidentaux ont aussi fait payer d'avance par le capitalisme allemand renaissant - non pas la note des crimes nazis - mais la rétribution qu'Israël exigeait, en contrepartie des services qu'il s'était engagé à rendre aux alliés occidentaux dans cette région du monde.
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*2 - de plus en plus des voix s'élèvent en Israël (organisation socialiste israélienne de Nathan Weinstock) - bien que très faibles encore pour demander la désionisation d'Israël et l'adoption du socialisme.
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1 et 2 -  NATHAN WEINSTOCK (Israël et la Révolution arabe: document J.C.R.).
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3 et 4 -  Eric ROULEAU: Le Monde, 8 mars 1966.
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