souffles
numéros 10 et 11, 2e et 3e trimestre 1968

action plastique
toni maraini melehi
: symposium international de sculpture de mexico
pp. 50-52

 

A l'occasion des Jeux Olympiques Mexicains, une Olympiade Culturelle a été instituée cette année pour la première fois. Il s'agit dans l'ensemble d'une série de manifestations artistiques (théâtre, ballet, cinéma, expositions, congrès) organisées à Mexico pendant toute l'année 1968. Dans le cadre de ce programme, une RENCONTRE INTERNATIONALE DE SCULPTEURS a eu lieu pendant les mois de juin et juillet.

Invités au Mexique par un comité de choix expressément désigné, 18 sculpteurs - 3 mexicains et 15 "venus des cinq continents" - y ont participé. L'Afrique était représentée par Mohamed MELEHI, artiste du Maroc.

Le but principal de la Rencontre était la réalisation d'un ensemble de 18 sculptures monumentales (allant de 8 à 23 mètres de hauteur), en béton, disposées le long du tronçon sud de l'ANILLO PERIFERICO, autoroute de 25 km. environ, qui sort de la ville en direction des Villages Olympiques et de Xochimilco. Construites pour y demeurer, ces sculptures appartiennent à la ville de Mexico.

Ce projet - malheureusement conditionné par des intrigues officielles non réellement artistiques et caractérisé par de nombreuses erreurs d'organisation - a cependant eu le mérite, sur le plan du travail non-officiel, d'être intéressant et assez futuriste.

Que le lecteur ne se trompe pas! les intrigues, la violence, l'injustice de toute une situation globale ne peuvent pas être camouflées par des activités culturelles d'avant-garde; toutefois, il est vrai aussi que de telles activités peuvent véhiculer les idées nécessaires pour la mise en cause d'une situation artistique commercialisée et cristallisée, et de tous les problèmes culturels qu'elle fait naître.

Cette RENCONTRE INTERNATIONALE DE SCULPTEURS a permis des expériences aujourd'hui fondamentales: celle de la collaboration entre disciplines différentes (problème du travail en équipes) et, en particulier, entre le technicien et le plasticien; celle de l'intégration à l'espace environnant (problème de l'art-dans-la-nature, l'art-dans-l'ambiance), et à la planification urbanistique (problème de l'art-dans-la-rue et dans la cité industrielle). Les sculpteurs ont ainsi eu à résoudre des problèmes techniques et plastiques considérables (construire une sculpture extérieure et permanente, sur une échelle monumentale, dans une matière nouvelle qui nécessite des calculs complexes et une exécution soignée, ériger une forme bien orientée par rapport à la lumière naturelle, à l'ensemble urbain, à la vision de masse éloignée et motorisée).

En ce qui concerne le problème de la communication artistique socialisée, l'emplacement est somme toute idéal. Cette autoroute grande et belle n'est pas du tout exclusive. En partant de la banlieue et de nombreux quartiers populaires elle conduit au Pedregal et aux quartiers résidentiels mais aussi à Xochimilco, endroit d'amusements populaire et traditionnel très fréquenté. L'autoroute est toujours pleine. S'évadant de la ville les après-midi ou les jours de fête, les gens, les familles, «los camiones» prennent avidement la route vers les gazons et les canaux fleuris de Xochimilco. Et les sculptures sont là.

C'est dans ce sens que le projet est futuriste.
Il se penche sur le problème complexe de l'art dans la rue. De l'action des artistes, sortis du cercle clos des galeries, face à la collectivité.

A mesure que les travaux progressaient, les formes devenaient des personnages, des noms étaient inventés, chaque sculpture étant sujet d'observations critiques, ironiques ou affectueuses. Des jeunes montaient sur une sculpture pour voir tout autour, dormaient sous l'ombre d'une autre, ou y écrivaient pendant la nuit 'gorillas asesinos', 'Cueto asesino', '1968, Olimpiada de hambre'.

C'est que les sculptures commençaient lentement à faire partie de la vie ambiante. Rigoureusement non-figuratives, elles se transformaient, s'intégraient aux cactus, aux signaux de la route, aux pyramides, aux rochers de lave, aux bidonvilles cachés parmi ces rochers noirs et aussi aux murs mexicains sur lesquels on écrit clandestinement ses vérités.

ON EST LOIN DES OEUVRES INTOUCHABLES D'UN MUSEE.

Aux bords de l'autoroute qui passe par cette plaine volcanique à la sortie de la ville s'échelonnent donc les 18 sculptures. Il y a dans ce paysage beaucoup d'espace et de grandeur. Sous une lumière diffuse, par moments violente, s'élèvent, à un kilomètre l'une de l'autre, ces formes monumentales, nettes et colorées (le béton a été peint). Modelées avec intelligence, bien orientées, certaines sculptures s'intègrent complètement au paysage, d'autres, trop lourdes et mal conçues y demeurent surajoutées.

C'était l'opinion générale (des critiques, des artistes et du public) que la sculpture de Mohamed MELEHI était une des plus réussies, par sa forme harmonieuse et son ingénieuse intégration.

Il s'agit d'une forme ondulée de 12 mètres de hauteur en béton blanchi et encadrée par une charpente métallique cubique de 3 m x 5 m x 5 m peinte en rouge et orange. Cette sculpture se dresse sur un terre-plein au milieu de l'autoroute.
C'est une sculpture qui exploite correctement la ductilité du béton. La forme s'élève élancée tout en demeurant solide et bien définie dans ses contours. Son profil curviligne a été rigoureusement étudié : les ondulations sont synchronisées de manière à donner l'impression d'un mouvement continu (selon la position du soleil, les creux et les bords développent toute une vérité d'ombres).
Non seulement elle présente donc une silhouette différente de chaque côté, mais aussi ces mêmes côtés changent de contour selon la lumière qu'ils reçoivent.

En venant par la route on aperçoit à un kilomètre cette sculpture qui surgit avec force. A mesure qu'on s'approche, elle varie; elle bouge.

«Je suis Africain, je suis d'un continent de masses et de grandes ouvertures. Une sculpture, ou peinture, qui peut être vue de loin, par plusieurs personnes à la fois, pendant qu'elles travaillent, pensent ou se promènent est pour moi une véritable oeuvre active, une opération plastique de grande importance ».  (1)
Conçue dans cet esprit, la sculpture de MELEHI s'intègre à la vaste plaine.

De près, elle change encore. En effet, si l'on rentre à l'intérieur de la charpente cubique et qu'on regarde en haut, c'est une autre sensation, un autre paysage plastique. Le pourtour cubique est une cage étrange; la forme ondulée devient aigüe, une vibration tendue vers LE HAUT; la verticalité d'une colonne immense. Il s'agit, pour MELEHI, d'une flamme mentale qui domine et qui s'échappe de la structure matérielle, dure, crue et angulaire.

« Conscient du fait que je devais représenter l'Afrique - tâche trop grande vraiment - j'ai voulu créer une forme qui, tout en étant traditionnelle (l'onde apparaît sur tout art africain), tout en étant nouvelle (elle est plastiquement moderne), symbolise une situation déterminée: malgré l'oppression sanguinaire, métallique et programmée, l'esprit dynamique de ce continent (son 'SOUL') s'élève avec force vers le ciel » (MELEHI).
Ainsi, de loin, de près, de l'extérieur puis de l'intérieur de l'enceinte linéaire, le public cherchait à saisir et à relier tous ces différents aspects. C'est une METAPHORE OPTIQUE qu'on voit des gazons de Xochimilco.
 


1.  Passage extrait de la déclaration écrite par Melehi en avril 1968 pour la publication que le Comité de cette Rencontre prépare à présent.
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