jean baubérot
le tort d'exister
- des juifs aux palestiniens -


                                                                                  (éditions Ducros)

p. 64


     Ecrit dans un genre littéraire original, qui mêle à la fois l'analyse d'éléments théoriques et le récit d'une démarche personnelle, « Le Tort d'exister » comporte trois thèmes principaux :

Une comparaison entre sionisme et chrétienté :

     Ces deux systèmes cherchent à instituer une société close, unifiée idéologiquement et comprenant forcément des rejetés : les juifs d'un côté, les Arabes palestiniens de l'autre. Le fondement de l'antisémitisme chrétien était le mythe du « peuple déicide », la base du racisme antiarabe sioniste est de considérer tous les Arabes qui n'acceptent pas la spoliation du peuple palestinien comme coupables d'intention de « génocide » vis-à-vis des juifs. Et de même que le christianisme se durcissait constamment contre son enracinement juif et l'attirance persistante du judaïsme pour certains de ses adeptes, de même Israël est acculé, de par sa logique propre, à des mesures discriminatoires pour se défendre contre le danger de « levantinisation ».

Une étude du sionisme comme normalisation du peuple juif :

     Les juifs d'origine européenne, tout en étant des Occidentaux, avaient acquis historiquement (du fait de la richesse de leur culture et de leur situation de minorité persécutée) une certaine « marginalité » qui les rendait relativement critiques vis-à-vis des structures oppressives de l'Occident et les conduisait souvent à militer dans des organisations révolutionnaires. Le sionisme se veut un mouvement de « normalisation » des juifs. Il s'agit de constituer, en Israël, un pays « comme les autres », d'acquérir « comme tous les pays l'ont fait au cours de leur histoire sa stature dans le sang ». Mais que peut signifier « être normal dans une société de classe et dans un monde dominé par l'impérialisme ? Les gens considérés comme normaux vivent en fait sur l'oppression d'autrui, les critères de la normalité sont donnés par l'idéologie dominante bourgeoise et occidentale. La normalisation sioniste n'est-elle pas donc l'aliénation complète, la « fin du peuple juif » et d'une certaine « sensibilité juive » ? Juifs ou non-juifs, ne faut-il pas, pour exister réellement, se battre contre la normalité ?

Une analyse de la révolution palestinienne comme mise en question de la « civilisation occidentale et chrétienne » :

     La lutte des Palestiniens est un combat anti-colonialiste et anti-impérialiste. En cela, il ressemble aux luttes des peuples d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie du Sud-Est. Mais les Palestiniens doivent aussi vaincre une mystification idéologique sans précédent car, par l'idéologie sioniste, l'anti-sémitisme se perpétue, sacralisant les juifs et considérant les peuples arabes à travers des stéréotypes racistes. La résistance palestinienne met en question non seulement des intérêts fondamentaux, la bonne marche de l'exploitation capitaliste dans le monde, mais aussi les schèmes mentaux et affectifs de la classe sociale des intellectuels, et spécialement des intellectuels de gauche. Pour un jeune étudiant occidental, promouvoir une solidarité réelle avec le peuple palestinien ne signifie pas scander des slogans mais plutôt tenter de vaincre toutes les structures impérialistes — et notamment tous les schèmes culturels et idéologiques — qui constituent les valeurs de la civilisation occidentale et chrétienne. Le « meurtre de Dieu » nietzschéen et la « révolution culturelle prolétarienne » maoïste sont tous les deux présents dans cette visée.

     Les Palestiniens, comme hier les juifs, ont le tort de vouloir exister. Si l'ensemble des structures impérialistes qui constituent l'Occident ne sont pas vaincues, ce sont tous ceux qui voudront réellement vivre et ne pas être soumis à la paupérisation affective, intellectuelle, politique, sexuelle, culturelle amenée par 1'« american way of life » qui, dès demain, auront — eux aussi — tort d'exister.