pp. 86-90

« la résistance palestinienne »


de Gérard Chaliand (1
)


     Les lecteurs de SOUFFLES ont pu se rendre compte, à la faveur du numéro spécial consacré à la révolution palestinienne, de l'abondance de la bibliographie concernant la Palestine. Il est vrai que la quasi-totalité des ouvrages dont nous avions présenté la liste n'est guère à la disposition du lecteur marocain (et parfois même maghrébin) (2).


     Les ouvrages traitant de la Palestine qui ont été distribués jusqu'à nos jours au Maroc (3) se comptent sur le bout des doigts si l'on excepte les publications du Centre de Recherches de l'O.L.P. de Beyrouth qui, de toute manière, ne se trouvent pas dans le circuit commercial. Par contre, c'est par milliers, par centaines qu'on trouve les romans policiers, d'espionnage, pornographiques, « classiques », ou, pour rester dans le cadre politico-historique, les livres traitant de la Seconde Guerre mondiale, à titre d'exemple. Inutile de s'apesantir sur les causes et les conséquences d'un pareil état de fait. Elles sont trop manifestes. Mais quelles que soient les barrières qui peuvent être dressées devant le message de la révolution palestinienne, il a déjà eu accès au cœur des masses populaires et il éclaire irréversiblement devant elles la voie de leur libération.

     Venons-en maintenant au sujet de cette courte chronique, le livre de Gérard Chaliand : « La Résistance palestinienne ».


     L'auteur s'est déjà fait connaître par plusieurs études sur les problèmes nationaux et les mouvements de libération nationale (4). Le livre est le résultat de deux enquêtes menées dans les pays arabes du Proche-Orient et en Palestine occupée en 1969. De ces enquêtes, l'auteur a rapporté un témoignage sur la lutte des résistants palestiniens, l'organisation, la constitution sociale et l'orientation idéologique des mouvements de résistance palestinienne, essentiellement le FPDLP et FATH. Il est évident que ce genre d'ouvrages, en faisant entendre la voix des masses palestiniennes et de leur avant-garde révolutionnaire, en décrivant les conditions objectives dans lesquelles vit le peuple palestinien, ne peut que servir la cause de ce peuple auprès de l'opinion occidentale qui découvre par là-même (lorsqu'elle a un minimum de sens de la justice et de la dignité humaine) que ces hommes, naguère appelés refugiés, protégés malheureux des organismes internationaux de charité, forment en fait une entité indivisible consciente non seulement de constituer une nation, d'avoir une culture, une histoire, une terre, mais aussi de construire, par la lutte armée et quels que soient les sacrifices, une nation nouvelle, une humanité nouvelle.

     Ce processus de la remergence de la nation palestinienne dans le feu de la lutte révolutionnaire, de l'approfondissement idéologique du combat idéologique a été rendu par1'auteur avec une sympathie attentive.

     Mais là, à notre avis, s'arrêtent les mérites de cet ouvrage et commencent ses limites ainsi que ses contradictions.

     Une deuxième lecture attentive nous révèle en effet que cette illustration de la résistance du peuple palestinien ne part pas des mêmes motivations que celles de ce peuple en lutte. Elle nous révèle qu'une certaine gauche occidentale n'a pas les mêmes raisons que les masses arabes de combattre le sionisme.

     C'est là d'où vient à notre avis le scepticisme de l'auteur quant à l'aboutissement du projet de libération palestinienne et à l'avenir du rapport de forces dans cette partie de la nation arabe.

     Dans le même ordre d'idées, le raisonnement de G. Chaliand concernant les deux principaux mouvements de résistance palestiniens ne manque pas de nous irriter, tant il se confine dans des considérations statiques peu scientifiques.

     L'auteur décrit ainsi Fath comme un mouvement majoritaire mais bourgeois. Le F P D L P comme un mouvement minoritaire, marxiste-léniniste mais condamné à demeurer minoritaire. Etrange dialectique qui semble oublier ce récent adage chinois : « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine».

     Nous ne manquerons pas de souligner combien peut devenir dangereuse pour l'avenir même de la révolution palestinienne, cette opposition radicale que l'auteur établit entre les mouvements de résistance palestinienne. Toute lutte armée révolutionnaire, toute guerre populaire, nous le savons, doit conduire à un front uni contre l'ennemi et déboucher sur une révolution sociale véritable dans la mesure où l'idéologie révolutionnaire parvient à guider le mouvement. Dans le cas de la résistance palestinienne, ce mouvement vers l'unité a déjà commencé et tend à s'approfondir.

     Une autre faiblesse de 1'ouvrage, mais qui nous apparaît grave, est la description de la condition des arabes vivant en Israël. Une analyse d'une page a suffi à l'auteur pour démontrer en gros que ces arabes sont relativement privilégiés par rapport à leurs frères du reste du monde arabe quant à la vie sociale et politique. Monsieur Chaliand veut-il nous affirmer par là qu'il croit encore au mythe d'Israël « repaire de la démocratie au Proche-Orient » ? Espérons qu'il s'agit d'une simple lacune, due à une connaissance superficielle ou rapide de cette réalité. Dans tous les cas, ce serait pour nous faire le jeu du sionisme et de la propagande israélienne que d'entrer dans ce genre de raisonnement. En définitive, le problème que pose encore une fois ce livre, c'est finalement celui de la nécessité de la prise en charge de la cause palestinienne (sur tous les fronts et notamment idéologique) par les palestiniens et les arabes eux-mêmes.

     Il ne s'agit pas de nier la volonté sincère de beaucoup d'intellectuels occidentaux de gauche de contribuer à lever le voile sur la nature véritable du combat des palestiniens et de servir leur cause.

     Ce qu'il faut préciser pour couper court à toute ambiguïté, c'est que la volonté de certains de ces intellectuels non liés à une pratique de transformation sociale (et qui s'érigent au nom de la pureté révolutionnaire en théoriciens) est de ce fait limitée. Leur témoignage (répétons-le encore, souvent bien intentionné) peut déboucher, à nos yeux, sur des impasses dangereuses dans la mesure où ils prolongent un débat qui n'est pas au cœur de l'objectif permanent, juste et inébranlable du peuple palestinien combattant : la libération de la Palestine de l'impérialisme et du sionisme.

                                                                                                                                                                                        a. l.
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(1)     Editions du Seuil. Paris 1970.
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(2)     Lors d'un voyage en Algérie l'année dernière, nous avons constaté la même réalité.
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(3)     Ania Francos : « Les Palestiniens ». — Le Roi Hussein : « Ma guerre avec Israël ». —  Démeron : « Contre Israël »
               Cette liste n'inclut pas les ouvrages écrits en arabe qui sont à leur tour peu nombreux.
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(4)     La Question Kurde. Partisans, 1961. — Guinée « portugaise » et Cap Vert. Maspéro,  1967. — Lutte armée en Afrique. Maspéro, 1967.
               Les paysans du Nord-Vietnam et la guerre. Maspéro, 1968.
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