abdelaziz mansouri :


ras l'mouqaf

pp. 53-56

le Cap se presse que je démonte au fer rouge vers une périphérie de combat
le Cap des Chômeurs
de toute voix dynamitant l'espace, volant en éclats, déroulant ses pièges qui
devaient me poursuivre
pas en songe
et ses boulimies outrancières dans le kaki et le dialecte régional des ba-
gnards en liberté, des campagnards en diaspora
à l'heure des anciens combattants se protégeant du froid contre la muraille
à démolir

Ils
vont porter son déjeuner eu détenu, conduire le gosse au msid, poster une
lettre :

         nous sommes bien et très bien
         ne nous manque que votre cher visage
         nous voulons que vous veniez parmi nous
         nous attendons une réponse immédiate
         et c'est tout

Ils
que j'éclipse en coulant depuis Cap que je poursuis de mon seul typhon
divinatoire n'hésitant pas à les éparpiller sur le pavé, sur les trottoirs, dans les
mosquées. Ils mangent dans le même plat et se disputent la viande, se volent, se
saoûlent ensemble, se surveillent puis se tapent sur les cuisses, dénigrant leur
déchéance dans la chute des autres
vachement cap Ils
qui savent que Vendredi saint Que Ramadan-obligation-Nuit du Destin
meilleure à mille mois Que mariage confirme la religion et complète
la maturité Que la nouvelle femme peut pénétrer dans la maison
lors même que la défunte soit encore sur la planche mortuaire Que le vrai
musulman doit savoir lire sa lettre, tuer sa bête, laver son linge Que Dieu est
grand, donne et prend Que son prophète et le prophète de son prophète
envoyé au bout de chaque siècle pour régénérer l'Humanité Que que rien
ne demeure.

me dictent me dictent les voies de ma futurition ô cap

lorsque tu passes
jellaba sur l'épaule
en direction des cimetières où tu t'arraches les ongles à ramasser les escargots et à manipuler les hérissons
traînant les jambes entre les dépotoirs à la recherche d'aliminium, de fer
et de carton, fouinant avec un crochet, glissant dans tes narines le tube du contraceptif, le respirant jusqu'au sourire, jaugeant la semelle usagée, puis te grattant la barbe avant d'allumer le mégot d'un geste malin ô cap
tout cela sur un bout de trottoir
toi
la main sur ton nombril et le mien où s'accumule notre pudeur jalousement dérobée ?
tu t'interdis
tu fumes un ou deux sebsi honni soit qui mal y pense et tu entonnes
En-Nîl nagachi
le Nîl d'il y a trente ans que tu dis être le plus beau fleuve du monde
ses roseaux fourniraient le naï le plus beau du monde
tarbouch et gilet londonien
el fanni malouch watan (Vers une samba aux reflets de Sphynx) l'automne lui a succédé
avec lui se fanèrent les fleurs de l'amour

Cap ainsi fait. De Damas et de Amman. De Baghdad et de Jabal Loubnan. Ainsi fait et tu n'y peux rien. Khaled Beloualid est dans ta peau et tu n'y peux rien. Jaâfar est dans ta peau, l'Oum Kaltoum diluvienne. Alors tu imagines
tu imagines :
                 de Souss il est parti
                 à Damas que le génie a désignée
                 il a frappé à une porte et le personnage est sorti
                 — mon frère grâce à toi un trésor peut être déterré
                 — mon frère honore ma maison et je te serais acquis à jamais
                 c'est à la tombée du jour que les montagnes se sont écartées
                 pour aux deux hommes confier or et pierreries
tes chevaux ailés te transportent d'une traite de l'océan au golfe. Tu imagines mon brave. Contes et légendes. Vers une culture de séparés.
j'exhulte
j'exhulte
cap sur cap jusqu'à la halqa où tu piétines les tessons, où tu bois l'eau bouillante et dévorces vivantes vipères et couleuvres. Tu défais la zazza, tu frappes le sol du pied et tu scandes sur un rythme de trois cent soixante-cinq moussem l'invocation à Moula Baghdad. Et les saints, les demi saints et leurs serviteurs honorés. Exaltations où tu t'écroules cosmique frappé dans tes servitudes les plus basses. A prolonger jusqu'à l'étranglement dans des transes d'apocalypse. Tu baves mortes et vivantes, les dattes dépositaires de litanies offertes au plus heureux ; Elles détruiront vos ennemis et les co-épouses par les vertus de la vengeance que toute souffrance appelle. Tu sors ta barbe passée au henné. A brandir trois lunes pleines durant avant de la scalper ma barbe vile comme la ville que voilà promue grande sorcière au sortir d'une longue prostitution à face noire sous le couvre feu, crachant vers la postérité une lèpre qui se refuse, qui projette des caillots marqués à jamais par une digiltale de tirailleurs et de goumis, de charniers et de carnage. Et je t'enterre et tu m'enterres mon cap martyr, mon cap sectaire qui va vilipender le Chouri et glorifier l'Istiqlali pour bien faire ton devoir. Afin de mériter le baume des mains caressantes qui se posent sur ton front, te donnant le temps de t'évanouir sous le coup de la plus haute jouissance avant de se dérober, te laissant sous la tête un rocher
un sort où ressasser la mort ancienne et ta détresse quotidienne
d'un cap l'autre jusqu'au figuier de tes malheurs où l'on te retrouvera mach'hout (muet ou frappé de surdité) ou victime d'une autre calamité comme c'est légion dans l'éventail de tes infarctus de myocarde, de tes syncopes et de tes artérioscléroses ô cap
sourcière à ciel ouvert où la horde catalysée depuis mille ans
son œil permanent où s'accumule le poulpe des nuits collectives éventrées par le couperet du désespoir
mais l'aire future d'immortalité

les oiseaux reviendront nicher dans les maisons hautes et larges
loin de la cargaison des mutilés ou l'aube surgit boiteuse
à compromettre pour encore plus de suspicion
à chasser vers des esplanades de turbans
qui furent blancs
ou jamais arbre ne bruit
hormis les racines écrabouillant le grain de riz multicolore, brisant l'immense ménopause
son jardin vert
son bout de terre
son coin de mer où va jouir l'homme moyen doué de sourire et de gamètes fertiles où l'on s'exhibe
sous des manteaux de vieille fille dans des peaux reprisées, montrant bague, ceinture et souliers se pavanant sur des rives de lointaine agonie d'où partir chargé de pâleur de rencontres
où côtoyer
tout un cap de poulains devenus barbares, à présent moro incapables d'aller au delà de l'enceinte en glissant des remparts sur des cornes de chèvre

puis dormir d'un sommeil tragique peuplé de petites morts disant que le crime ne paie pas que poursuit une malédiction d'orphelins placés sous la garde du glaive le plus rancunier. Liés par le feu et le lieu. N'ignorant que leur pouvoir flanqué d'épines et leurs droits bridés. Tous ensemble en position de symboles cap sur l'œil unique du démon gesticulant et se frappant la poitrine, singe comme sa vérité
fraternel comme la coquille rapace ô cap
d'asphyxie l'angoisse bondée de charrettes et de muletiers
ma clairière de baïonnettes
ma chronologie de générations déjouées
et le temps
                l'anti-temps
                                l'autre temps
notre temps au bord du gouffre où je m'oublie affectivité et somme de besoins quelque part, dans quelque lieu fermé au public

j'apprends à haïr à partir d'une idée plus ou moins précise de veuvage d'errance dans le corps à corps où je me produis soudain investi de violence sans une seule formule magique
                        paré pour l'attentat
sans te pleurer de douleur inoffensive mon cap
quand tu te lèves rempart en lacets autour de nos côtes
quand tu te sépares en marchands de beignets et de charbon, en teinturier,
en écurie et en four à pain
pour dire
pour ne pas dire et être le bras et le giron, le sexe et le poumon ô cap en anse de panier aux heures de pointe
en foule d'anonymat derrière les insomnies chroniques et les asthénies à prendre en pitié l'espace d'un combat à la fontaine

Cap mon Cap
tu secoues ta crinière vers d'autres forteresses. Tu glisses vers des murailles à brouter d'un sourire carbonisé pendant que s'assemblent qui se ressemblent sortis des pores de ton corps
d'où l'on ramena aussi des couteaux plus ou moins rouillés
mais que ta colonne vertébrale rendra perlés de mercure réparti en globules de survie
hommes et femmes où nous sortons, nous nous retrouvons pleins vis-à-vis du rêve portant nos déchets, nos théières, nos souvenirs et leurs murs éternels dans les fixations
comme un gaz mortel à respirer pour dire contre sagesse et néant : « j'ai consumé ma force l'espace d'une vie de labeur »

Cap Cap Cap
conciliabule depuis tout ce que tu n'es pas
et dans le rêve cyclique
fougères en escalade autour des miradors
le rêve
regard sous lequel je persiste
villes entières s'arrachant aux historiens et aux envahisseurs
en partance vers demain
où seuls vivent les peuples