intervention de la délégation guinéenne


la culture africaine

pp. 14-23

l'anthropologie occidentale ou la négation de la culture africaine


     Pour une fois, il ne nous en sera pas voulu d'essayer d'éluder les divergences terminologiques qui obscurcissent le concept de culture.

     Le chemin parcouru par les tribulations sur la culture est bien long aujourd'hui ! Les opinions des « sommités intellectuelles » s'anéantissent dans une dialectique stérile ; les « symposia » clôturent leurs augustes séances dans la douleur d'une incompréhension mettant dos à dos l'humanisme creux, la peur devant la vérité historique et la détermination progressiste de l'homme face à la plus grande calamité de l'histoire : l'impérialisme.

     Dans les pays où le capitalisme enferme dans le coffre-fort les acquis scientifiques et techniques des larges masses populaires, l'intellectuel se bat pour ne pas perdre sa fausse « liberté », s'interroge en vain sur l'avenir d'un système économique et social décadent; il est désemparé ; il confectionne tant bien que mal des politiques culturelles pour rafistoler une société dont les convulsions sont les symptômes irréfutables de la dégénérescence ; loin de diriger les lumières devenues pâles de son pauvre esprit absolu dans la recherche d'une conscience culturelle nouvelle, il sombre dans le scepticisme, mieux dans1a terreur des lendemains condamnés du capitalisme.

     En Afrique trois courants ont dominé l'étude des problèmes culturels. L'Anthropologie anglo-saxonne contemporaine préoccupée de justifier le point de vue réactionnaire du colonialisme, présenta longtemps l'Afrique comme le refuge des peuples arriérés devant être ramenés de force à l'humaine civilisation colonialiste !

     L'histoire montra que la maturité révolutionnaire ne peut être objet d'un décret que de toute façon l'impérialisme ne signera jamais ! L'école anglo-saxonne laissa place à un pseudo-réalisme digne des héritiers de Hume, pseudo-réalisme dont le contenu idéologique réactionnaire ne tarde pas à être découvert. Les épigones de Vierkandt, tels les « culturalistes » Gräbner, Ankermann, les fonctionnalistes comme Malinowski etc... crurent trouver l'essence de notre culture : ce fut un fatras d'empirisme dont la haine du matérialisme historique produisit des monographies décousues où la lutte des classes, l'exploitation impérialiste de nos peuples sont diluées dans un pluralisme culturel antiscientifique.

     Décidément la pioche de l'archéologue ne toucha pas encore la culture africaine trop enfouie sous l'amas tenace des immondices du colonialisme battu en brèche par nos peuples. Le souci de dégager une authenticité introuvable pour des raisons bien déterminées, donna lieu à une reproduction plus ou moins fidèle du prélogisme de Lévy-Bruhl alors atteint de cécité ! Aucune différence en tout cas de conception entre d'une part le noir étranger aux catégories logiques dit-on, du monde gréco-latin et d'autre part le thème du noir pure cénesthésie, sorte de créature de cire, passive, seulement apte à rester au stade intuitif primaire de1'enregistrement des phénomènes.

     Ce n'est pas donc le fait du hasard si les Etats Africains ont encore aujourd'hui à consacrer un symposium à un sujet tel que celui qui nous réunit : « La Culture Africaine, ses réalités,... ». Nous nous souvenons qu'il y a vingt ans beaucoup d'écrits étaient consacrés à un autre sujet, qui semblait brûlant à l'époque : « Le Noir est un homme ». Si nous avons besoin aujourd'hui, si c'est devenu pour nous un devoir historique de nous réaffirmer dans un domaine comme celui de la culture, c'est parce que nous sortons d'une longue période d'éclipse au cours de laquelle, les attributs les plus élémen-taires de l'homme dont notamment celui de la créativité nous ont été contestés, niés.

     Selon un préjugé soigneusement entretenu nous n'aurions pris aucune part dans l'œuvre générale de la civilisation. L'Afrique est accusée d'avoir été sans histoire, sans culture, parce qu'il y avait une nécessité qu'il en fût ainsi. Les européens ont massacré les indiens d'Amérique en admirant leurs temples et leurs palais. Ils admettaient que c'étaient des hommes qu'ils massacraient pour occuper leurs terres. Dans leur entreprise de conquête et de domination, ils ont détruit des civilisations millénaires en Asie, mais sans jamais nier ces civilisations comme telles, sans jamais contester à leurs artisans, aux peuples de ce continent leurs attributs d'hommes.

     Mais face aux Africains, l'Europe a vu d'abord non pas des hommes à exterminer pour ne s'emparer seulement que de leurs richesses ; mais, des bêtes à capturer pour en faire des esclaves qu'elle pouvait faire travailler à sa guise, revendre sur place ou exporter directement vers l'Amérique, tuer lorsque la force de travail et la valeur marchande n'assuraient plus un profit suffisant.

     Pour le succès d'une telle entreprise un préalable était nécessaire : celui de mettre sa conscience en paix et de rassurer l'opinion en posant qu'on a effectivement affaire à des bêtes et non à des hommes. Ainsi la barbarie présumée des africains la négation de leur culture et de leur civilisation procédaient de cette nécessité de les aliéner de leur qualification humaine.

     Mais la roue de l'histoire a continué à tourner. Les forces de progrès ont continué à se développer face aux forces de l'oppression et de l'exploitation. Une oreille plus attentive a été prêtée aux légendes, aux épopées, aux contes, transmis de génération en génération par la bouche des griots. Enfin l'archéologie a pénétré les continents, plongeant dans les profondeurs du sol et du temps pour ressusciter et ramener en surface les corps des cultures ensevelies. En fait, sans les résultats des fouilles archéologiques, sans la transmission orale opérée par nos griots, le simple bon sens était déjà suffisant pour rendre compte de l'absurdité ou plus exactement de l'attitude de classe de ceux qui en sont venus à concevoir un peuple sans culture.

qu'est-ce que la culture ?


     Nous devons entendre par culture la totalité de l'outillage matériel, immatériel, œuvre et ouvrage d'art et de science, savoir, savoir-faire, faire-savoir, mode de pensée, mode de comportement, attitude..., accumulés par le Peuple d'une part à travers et pour sa lutte pour sa libération de l'emprise de la Nature et sa domination sur elle et, d'autre part, à travers et pour sa lutte de destruction des systèmes déviationnistes politico-sociaux de domination et d'exploi-tation de l'homme par l'homme qui se créent en excroissances aberrantes au sein de la Société, à travers le processus de production de sa vie.

     Ainsi, la Culture se révèle-t-elle comme, à la fois, création exclusive du Peuple et source de création, arme de libération économico-sociale et arme de domination.

     La Culture implique la lutte, elle est lutte.

     La Culture comme le fait remarquer le Camarade AHMED SEKOU TOURE, Secrétaire Général du Parti Démocratique de Guinée, en tant qu'expression et résultats des rapports entre l'homme et la société, entre l'homme et la société d'une part et la nature d'autre part, se retrouve chez tout peuple, est inhérente au processus même de la vie. Partout où se déroule une vie consciente, fleurit une culture.

     La culture c'est l'ensembie des valeurs matérielles et spirituelles créées par l'humanité au cours de son histoire. Cette création est continue et nécessaire. Elle est le corollaire, le reflet, le résultat de l'action de l'homme en vue d'adapter le milieu aux exigences de sa survie et de son épanouissement. Elle est inspirée par l'instinct de conservation au stade primaire, par la conscience des lois de l'existence au stade supérieur. Elle obéit donc d'abord à une loi biologique simple, celle qui fixe les conditions de la conservation de l'individu et de l'espèce avant d'obéir à une loi plus complexe, d'ordre psychologique et économico-sociale. Or l'instinct de conservation, le besoin de s'épanouir et de s'accomplir sont le propre de tout individu, de toute société, de tout peuple. Il n'y a pas de peuple qui ne lutte pour son existence, par la création des biens nécessaires à cette existence. Les peuples africains comme tous les peuples ont parcouru la longue route de l'histoire en livrant des combats dont la résultante globale a été des succès croissants. La création des valeurs matérielles, la création des valeurs spirituelles, la création et le développement de cette culture globale se poursuit de façon progressive malgré des moments de ralentissement, de stagnation, voire de recul. La production culturelle matérielle et la production culturelle spirituelle sont dialectiquement liées et se stimulent réciproquement. Mais la priorité, voire la primauté, revient à la production matérielle, elle-même participant directement de l'action concrète de l'homme. En effet l'histoire de l'humanité a plus d'une fois enregistré des baisses de tension spirituelle, une stagnation de la vie intellectuelle et politique, voire une annihilation totale de ses activités, mais elle n'a jamais enregistré une interruption totale et de longue durée de l'évolution de la civilisation matérielle. Celle-ci, bien sûr, peut adopter des cadences plus lentes, mais ne peut s'arrêter, car son arrêt signifierait arrêt de l'action créatrice de l'homme, donc anéantissement de ses moyens d'adaptation et fin de sa survie.

     Cette action est une nécessité vitale, condition et signe de la vie. L'action de l'homme c'est la source de tout. Cette action a pour objet de satisfaire des besoins, d'abord physiques, vitaux, puis au-delà, des besoins moins immédiats, ceux qui ont trait à l'affirmation et à l'épanouissement de la personnalité, des besoins intellectuels et moraux. Cette action de l'homme et de la société est dirigée contre le milieu ambiant, contre l'homme lui-même, contre la société, contre la nature. Destinée à satisfaire les besoins de tous, le problème de son efficacité, de sa rentabilité se pose. Une tactique, une stratégie, un effort de réflexion en vue d'une certaine planification, une critique et une autocritique face aux résultats, une méthodologie s'imposent mettant en jeu tout un processus d'opérations intellectuelles : c'est une culture, un acquis sur le plan matériel et spirituel, le produit et le prix de l'action.

     L'action créatrice obéissant à une nécessité universelle, la culture qui en est le reflet, sujet et effet, est une réalité universelle. Partout où il y a nécessité de création, il y a culture. Expression des rapports entre l'homme et la société, entre l'homme, la société et la nature, la culture pose de façon aiguë le problème de la dialectique du général et du particulier. La culture c'est l'expression dans des formes particulières et spécifiques d'un problème général, celui des relations qui unissent l'homme à son milieu.


     Mais ces relations elles-mêmes revêtent un caractère spéci-fique déterminé par les conditions géographiques, le niveau du développement des forces productives et la nature du mode de production, donc déterminé par le contexte historique et social. Le niveau culturel d'un peuple, peuple africain compris, ses modes de conquêtes de la connaissance, ses modes d'explication des phénomènes, sont fonction de la puissance qu'il a acquise sur les forces naturelles, le degré d'objectivité et d'abstraction atteint au feu de l'action pour la maîtrise de techniques de plus en plus perfectionnées.

     La spécificité, la particularité d'une culture est une réalité, un des attributs de la réalité nationale en général, de la réalité de classe en particulier et exprime la communauté des conditions de vie, la similitude dans les attitudes, les réactions devant les phénomènes sociaux et naturels.

     Mais même dans cette spécificité et cette particularité il y a du général, en ceci que même si ces attitudes et ses réactions sont marquées par l'irrationnel à certains stades du développement historique, même si à certains moments du déroulement de l'action elles procèdent de la simple émotion, ou se situent au niveau des réflexes, elles sont fondamentalement mises en mouvement et guidées par la raison en vue d'atteindre des objectifs bien déterminés, les solutions à des problèmes déterminés. La spécificité, la particularité ne sont pas spécifiques à la culture africaine. Elles sont spécifiques à chaque culture. Cette spécificité est une réalité générale. Mieux, au-delà de cet aspect général de la spécificité, la culture, par son contenu, expression des aspirations éternelles de l'homme au bonheur, à son plein épanouissement par une puissance toujours accrue sur la nature, est perpétuel devenir vers l'universel. La vitesse à laquelle la culture tend à l'universel est fonction de la dialectique des formes et du contenu culturels au stade historique considéré.

     Plus les formes d'expression de la culture se perfectionnent grâce au développement général des formes et la révolutionnarisation des rapports de production, plus son contenu tend à s'universaliser en interprétant les aspirations de tous les peuples. La culture africaine comme toute culture a pris naissance avec l'homme africain lui-même dont elle a rendu compte des premières préoccupations, des premières luttes, des premiers succès et échecs.

     La filiation historique et la succession dans son développement ont reflété étroitement la filiation dans le développement des forces productives. Sa simplicité a ses débuts, son bas niveau intellectuel, ici lenteur de sa cadence de progression, étaient à l'image de la faiblesse et de la précarité des moyens d'existence. Puis au cours des siècles et des millénaires, parallèlement au perfectionnement des techniques de production, la culture s'est développée, s'est diversifiée, s'est nuancée, s'incorporant les sciences, la technique, la littérature, la musique, la danse, les arts plastiques. Toute cette longue évolution, cette qualification progressive, obéit à la raison, à la loi de la gnoséologie, du passage de l'ignorance à des connaissances de plus en plus approfondies, de plus en plus exactes. Toute anthologie de la culture africaine tendant à situer celle-ci en dehors de l'empire de la raison, de la pensée rationnelle, de la loi, de la gnoséologie, la dévie de sa fin qui est de qualifier l'homme, la sacrifie au mythe de la singularité, et de la spécificité.

     La culture africaine n'a pas d'autres fondements et n'a pas besoin d'autres fondements que la vie concrète de l'homme africain. Plongeant ses racines dans les couches populaires les plus profondes, elle exprime la vie, le travail, les idéaux, et les aspirations des peuples africains. Elle a apporté sa contribution aux côtés des autres peuples dans la conquête des sciences et des techniques. Avant le contact avec les autres continents, l'Afrique avait appris à extraire les métaux, à forger ses armes et ses outils de travail. Elle avait appris à tisser les étoffes. La notion de chimie s'était développée à travers divers recettes comme celles nécessaires à la fabrication du savon, de l'indigo, de l'encre, du tannage des peaux etc...

     Mais plus encore que les sciences, qui ont été desservies par la persistance, au cours des âges, d'un bas niveau technique et technologique, l'art africain, la littérature africaine, la sculpture, la musique, les danses africaines vont occuper sont en train d'occuper une place de choix dans le patrimoine culturel de l'humanité. La réalité de la culture africaine n'est plus à démontrer, mais ses réalités infinies restent à découvrir, à recenser, à décrire.

     A l'opposé, en Afrique comme ailleurs, la culture, parallèlement à sa production et à son développement, réagit sur les producteurs, l'homme et la société.

     La culture, c'est une expérience accumulée qui modifie l'homme de façon linéaire, progressive et quantitative, mais aussi avec des phrases de mutation qualitatives. Le résultat est un homme nouveau, une société nouvelle, plus habile, plus apte, intégrant de plus en plus le moyen et la fin de l'action, perfectionnant de plus en plus sa technique et ses moyens d'action.

     L'expérience acquise par et pour l'action, devient la source inépuisable d'énergie, l'instrument et le guide des actions en cours et celles à venir. La culture apparaît ainsi à la fois comme création et source de création de l'homme et de la société, comme expression de la relation dialectique entre le créateur et sa création. Elle apparaît clairement comme ce qu'elle est réellement, le facteur qui détermine et conditionne tout. Sa conquête a exigé de l'homme qu'il mobilise toutes ses ressources physiques et intellectuelles. Une fois conquise, elle est devenue la flamme qui anime et enivre son conquérant, l'homme. Ainsi on exagérerait à peine en disant que l'homme est égal à la culture qui l'a modelé et inspiré son comportement et son action.

     Le fait culturel conditionne et l'existence du Peuple et l'exercice par lui-même de sa souveraineté et de son pouvoir. Pour nous, en débattre, c'est combattre, et bien que l'histoire présente des exemples fort édifiants tels ceux qui dominent le processus de la formation du régime féodal, nous avons choisi d'actualiser les données de ce combat.

CULTURE D'ELITE, CULTURE DE DOMINATION


     Nul n'ignore l'utilisation crapuleuse faite par les Puissances de proie, au cours de l'Histoire moderne, dans leur mainmise sur les Peuples Africains entre autres.

     Après s'être approprié les éléments essentiels de la Culture de leurs propres peuples, les couches dominantes des Puissances colonialistes se sont servies de cette arme dans leur œuvre de domination et d'exploitation de notre Continent.

     Il fallait d'abord légitimer au regard de la morale admise, les genres de rapine et de domination coloniale, et l'on s'autorisa alors de la naturelle différence entre notre Culture et celle des Peuples de ces Puissances pour accréditer l'ignoble assertion que nous n'avions point de Culture et qu'il fallait nous en octroyer et en imposer une. Ce fut la croisade pour l'humanisation par la « Culturation » de peuples « marginaux », des Peuples restés à l'état de « Peuples-matières premières », de Peuples attendant d'être usinés dans la Grande Fabrique d'hommes Civilisés. Et l'on passa rapidement, pour la pérennité de la colonisation, au dressage systématique des « Ouvriers indigènes » associés au bon fonctionnement de la Grande Fabrique.

     Le Corps des « élites coloniales », « Hommes de Culture », Indigènes de tous niveaux, de toutes colorations épidermiques et politiques, de toutes ambitions et compétences, était créé.

     Face à cette élite et à la veille du mouvement de désintégration des empires coloniaux, il s'est créé, bien sûr, une « Elite Intellectuelle », subjectivement protestataire. Cette « Elite », bien sûr, essaya de faire feu de tout bois. Elle souffrait des coups racistes que l'Impérialisme assénait à l'Afrique, mais elle ne comprit pas que si l'idéologie et la pratique racistes peuvent être une arme efficace, maniée par l'impérialisme qui est un racisme actif, une non culture au regard de l'histoire, l'idéologie raciste, maniée par des révoltés, ne peut être qu'une arme aberrante, une arme qui, en dernière analyse, ne peut que servir l'adversaire impérialiste. Aussi la Sainte Négritude, qu'elle soit arabo-berbère ou ethiopico-bantoue, la Négritude est-elle objectivement une idéologie auxiliaire de l'idéologie impérialiste.

     Le Maître fait de son Esclave un Nègre qu'il définit « Etre-sans-Raison », infra-Homme, et l'Esclave ulcéré de protester : puisque tu es Raison, je suis Emotion, et je l'assume. La boucle est bouclée. Le Maître assume sa prééminence, l'Esclave sa servitude, mais revendique le droit de pleurer, droit que le Maître lui accorde. La réconciliation est faite et l'on comprend aisément toutes les peines que se donne tout l'appareil de diffusion impérialiste, presse, radio, cinéma, etc.... pour propager la soulageante Négritude. La « Négritude » en vérité c'est une bonne anesthésie mystifiante pour Nègres trop longtemps et trop rudement flagellés, au point d'en perdre toute Raison pour devenir pure Emotion.

     Une analyse sérieuse démontre que le fait colonial n'est nullement contesté par cette Elite et qu'objectivement loin de nuire à la domination coloniale, loin de mobiliser et d'armer les peuples subjugués, elle constitue la bonne conscience des colonisateurs en accréditant l'existence d'une certaine liberté de penser et de faire au sein du régime colonial. A ce point de vue, l'élite intellectuelle subjectivement protestataire complète objectivement les armes de domination coloniale. Accaparant à son niveau la culture Populaire, elle frustre le Peuple colonisé de sa meilleure arme défensive et offensive : la culture élaborée par lui et maniée par lui-même.

     La conjoncture des deux réalités : frustration du Peuple de sa propre culture et énorme développement de la Science et de la technologie (éléments de culture) chez les impérialistes, fait d'une certaine culture, à l'époque d'émergence des anciennes colonies à l'Indépendance Nationale, une arme redoutable entre les mains du néo-colonialisme.

     II faut en convenir, le comportement apeuré de maints Gouvernements Africains devant la cynique arrogance impérialiste, le désemparement des peuples victimes des coups d'Etat néo-colonialistes, sont des conséquences de la frustration des peuples de leur culture.

Culture et lutte des classes

     L'arme la plus puissante de viol et de réasservissement de nos Peuples dont disposent aujourd'hui l'Impérialisme et le Néo-colonialisme est une certaine culture.

     L'arme invincible de défense contre l'Impérialisme et le colonialisme et d'offensive pour la totale émancipation de nos Peuples est la culture redevenue création de toute la société et source de toute création progressiste.

     Cette analyse nous amène à reconnaître que la culture, super-structure née d'une certaine infrastructure qu'elle remodèle et qualifie à son tour, est une réalité de classe, de classes idéologiques.

     Et que l'on ne vole pas ici l'expression d'un certain néo-idéalisme : par classes idéologiques, nous voulons signifier qu'il s'agit de classes non point nées d'une simple stratification économico-sociale, mais que nous nous trouvons en présence d'une option fondamentale, plus exactement de deux options fondamentales exclusives l'une de l'autre et excluant toute option :

     1°) — L'Idéologie de domination et de prosternation devant la domination.

     2°) — L'Idéologie de lutte contre toute domination et de souveraineté intégrale du Peuple avec l'exercice de tout le pouvoir directement par le Peuple et pour le Peuple.

     Toute l'action du Parti Démocratique de Guinée est fondée sur cette deuxième Idéologie qui se manifeste dans tous les domaines de la vie sans aucune exception.

     Ainsi comprend-on que la culture soit un champ de travail où s'affrontent l'homme, la société, la nature, les hommes et les Peuples. La reconnaissance et la maîtrise du terrain dans ce combat sans merci, c'est la condition de la résistance victorieuse, la condition de la victoire. La supériorité des armes, c'est une supériorité de la culture tout au moins dans son aspect matériel et technique. Et c'est cette supériorité dans la production de la culture qui permet à un Peuple de s'imposer à d'autres Peuples et de leur imposer sa culture spirituelle. Plus que les canons, c'est la culture qui est l'arme de domination. Car c'est la culture scientifique, technique et technologique qui a permis de fabriquer les canons. Car le préalable à toute domination, exploitation et oppression c'est la négation de l'autre homme, du Peuple, dans ses attributions d'homme (ou de Peuple) dont en premier lieu, les activités culturelles.

     Avant de conquérir, de dominer et d'asservir un Peuple, le dominateur pose la supériorité de sa culture, la supériorité de sa civilisation, proclame sa mission civilisatrice auprès de ceux dont il a décidé arbitrairement et unilatéralement qu'ils sont barbares, sauvages, sans culture, sans civilisation. Les dominateurs posent que la compréhension de la nature en vue de son exploitation pour promouvoir le progrès technique, est leur privilège exclusif, leur propriété. Or des voix plus autorisées, plus fondées que celles des impérialistes des colonialistes et des néo-colonialistes ont affirmé que la nature est compréhensible à tout homme, que l'homme, à condition qu'il comprenne la signification historique de son existence, est capable de pénétrer tous les jours davantage les secrets de la nature, d'accroître sa puissance sur celle-ci pour la dominer toujours davantage.

     Dans le processus de la connaissance et de la domestication des forces naturelles, ce qui compte au moment historique déterminé c'est moins la qualité des connaissances et leur degré de conformité à la vérité absolue que la conscience que les hommes et les Peuples ont de leur capacité et possibilité de compréhension, de leur volonté de progrès illimité. Le facteur qualificatif dans ce processus, c'est une attitude, une disposition d'esprit dans le sens d'une confiance en soi et en son peuple. Les connaissances déjà acquises, le degré de vérité qui les caractérise est du domaine quantitatif, lié aux moyens matériels et techniques mis en jeu dans la recherche, l'expérimentation et l'application. C'est un stade historique du développement auquel chaque Peuple accédera à la vitesse que ses moyens matériels peuvent lui permettre, le préalable nécessaire et suffisant étant seulement, une fois encore, la conviction que ce qui est inconnu est connaissable. Il n'y a pas de Peuples plus doués que d'autres, plus intelligents que d'autres, il y a des différences de contextes historiques. Mais les impérialistes, les exploiteurs, aveuglés par l'instinct et la volonté d'exploitation sont incapables de comprendre ces vérités premières. La culture qu'ils ont créée se prolonge dans le fusil, la cravache, le travail forcé, et le dressage qui nient, humilient, dépersonnalisent le colonisé.

     Aujourd'hui encore, les efforts continuent. Et la loi objective de la connexion des choses continue à jouer ; les problèmes de développement économique et culturel de nos Peuples sont observés avec les facettes du « maître impérialiste », analysés dans l'esprit de cet exploiteur universel des Peuples. Et chaque fois qu'il n'en est pas ainsi, l'on repart puiser sans hésitation dans le musée poussiéreux des idées erronées.

     C'est un spéculateur, peut-être honnête, qui vous propose à nouveau un valérianisme réactionnaire « entrer dans l'histoire à reculons », parce que l'on ne peut emboîter la civilisation capitaliste et ouvrir des perspectives nouvelles au devenir des hommes opprimés.

     C'est un chercheur armé d'une philosophie sans perspective, soucieux d'un universalisme par trop suspect, perdant plutôt les restes minables d'un idéalisme de surcroît froid, qui vous propose le modèle de l'Afrique des invertébrés ou des pithécanthropes dispos pour être exploités indéfiniment et à volonté.

     C'est un archéologue de l'idéalisme qui vous propose des recettes dont le spiritualisme, en l'absence d'une idéologie scientifique, révolutionnaire, est suffisamment anesthésique pour endormir les masses et les livrer ainsi, dans un coma traître, à la rapacité de l'impérialisme.

     Pour la bourgeoisie et son excroissance colonialiste, il faut maintenir les masses dans l'inculture car l'accès d'hommes ignares à la culture détruit celle-ci, les cultivateurs paysans, les ouvriers sont incapables de conserver les valeurs culturelles, a fortiori en créer de nouvelles. L'absurdité de ce point de vue est prouvée par les pays édifiant le socialisme. La Révolution est la seule voie qui assure l'épanouissement de la science et de la culture, et non leur décadence.

     La culture à travers l'art, la littérature, la technique etc... est la photocopie de l'activité des hommes, la reproduction. Ainsi les danses de chasses imitent les mouvements et l'allure du gibier ; la chorégraphie stylisée du chasseur africain de la savane, imitant le lion ou l'éléphant jusque dans le costume, n'est pauvreté esthétique que dans l'esprit de l'exploiteur haïssant tout ce qui a trait au peuple.

     La guerre est une chasse où l'homme remplace le gibier, elle est mimique des scènes de combat ; les danses des « sofas » de Samori, ou des « tiédos » du Damel Teigne Lat Dior, les Bako (danse de défi) d'un N'Beur-Kat (lutteur sportif du Sénégal) comme le célèbre lutteur Modun Khulé (champion sévère qui a effectivement existé), sont de véritables chefs-d'œuvre. Surtout quand elles sont accompagnées de chant et de gestes d'assaut, comme celles de ces phalanges dont parle Stanley. La culture est le reflet, l'enregistrement des expériences, et les techniques de production.

     Les dictons, les proverbes, les narrations et les chansons populaires expriment le désir d'avoir une production abondante, les expériences de domination de la nature ; d'où ce matérialisme naïf des cultures paysannes, coexistant avec l'idéalisme dû à l'ignorance.

     Dans leur rejet du matérialisme historique comme théorie et méthode, des auteurs souvent perspicaces pourtant comme Frazer, n'ont pu expliquer scientifiquement la magie. L'expérience du combat contre la nature permet à l'homme de connaître ; mais étant donné l'efficacité limitée des moyens, et même quelquefois l'hostilité implacable du déterminisme physico-chimique, une grande partie de la nature échappe. La magie est alors une conjuration, et le rituel reproduit les gestes expérientiels acquis, jugés valables si les créatures occultes sont favorables. D'où ces expériences pour restreindre, limiter les dégâts, les calamités naturelles, pour tuer les bêtes qui ravagent les cultures, etc...

     Tout arrêt de développement à ce stade est propice à l'ignorance. L'impérialisme comprit tôt que sa puissance résidait dans cette ignorance. Il fallait nous transformer en êtres terrorisés, impuissants devant la nécessité naturelle et historique. Maintenus dans cet état d'ignorance, les peuples opprimés sont en proie aux préjugés, à la terreur devant les puissances invisibles d'autant plus aliénatrices qu'elles sont culturellement intériorisées ; la misère morale, la déchéance physique, reçoivent toutes les explications sauf celles qui découvrent la responsabilité monstrueuse des exploiteurs impérialistes.

     La culture est la synthèse des activités du peuple. Le combat contre la maladie et la faim, la domination de la nature et l'extention de la connaissance sont l'œuvre de l'humanité entière ; la culture scientifique et technique est la plus haute manifestation de la création collective ; elle a permis la liquidation de plusieurs fléaux naturels.

     Aucune culture, du point de vue historique, ne saurait échapper à un contenu de classe : à moins qu'elle ne soit une enveloppe destinée à être remplie par n'importe quelle sottise des idéologues de régimes exploiteurs, chaque culture relève d'une ligne politique définie. La Féodalité africaine, par exemple, n'a pas connu l'appropriation privée de domaines, au contraire de l'européenne où les seigneurs se sont érigés en propriétaires de terres qu'ils avaient mission de défendre tout simplement contre des envahisseurs éventuels ! C'est ici l'origine du caractère collectif des danses paysannes où les gestes épuisent toute la gamme des activités agricoles libres.

     La culture, à l'instar de tous les phénomènes sociaux, est marquée du sceau de la lutte des classes. Le Pouvoir culturel, contenant et contenu du Pouvoir Politico-économique, est ainsi une puissante arme d'oppression pour les exploiteurs. La culture pour le peuple a toujours été à juste titre la bête noire des idéologues du capitalisme.

     Il est dans la logique de l'exploitation capitaliste de fermer l'accès de la culture aux travailleurs créateurs de cette culture. C'est alors que : sociologues, historiens réactionnaires, aux fins de justifier cette monopolisation et d'en faire l'apologie, prônent la théorie de l'édification de la culture par une élite, l'humanité serait recevable des acquis, de l'art, de la science, de la technique, de la littérature etc... à une poignée d'hommes de génie (Darwin, Einstein, Shakespeare, Beethoven, etc). Il faut certes rendre hommage aux mérites de ces hommes. Mais si leur existence laborieuse devient la démonstration de l'origine d'élite de la culture, pourquoi des hommes semblables à eux en génie, n'ont-ils pas existé au temps de l'homme de Leakey ou du sinanthrope ?

La culture anthentique, production collective

     La science n'a jamais été l'affaire d'un homme. L'on a coutume de rétorquer que le savant jadis travaillait seul. En fait, un savant ne peut découvrir, inventer que dans un contexte socio-culturel propice, une situation, une atmosphère culturelle que le savant intègre avant de pouvoir enrichir le patrimoine de l'humanité. De nos jours, la méthode de recherche scientifique s'est modifiée ; le savant opère en groupe de travail ; mais cette « démonstration » de la méthode n'est pas encore la conscience de la nécessité du travail collectif, si elle est due à la complexité des problèmes et à l'ampleur de l'enrichissement de la science moderne, elle l'est aussi du fait que le capitalisme entend monopoliser et exploiter des brigades de matières grises. Mais nous savons quant à nous que cette méthode dont le capitalisme ne voit que les effets est le fondement même de la fécondité scientifique. D'ailleurs les travailleurs de la science sont les continuateurs de l'effort des générations.

 

     Ce sont les masses laborieuses, faisant l'histoire, qui ont créé les fondements de la culture et créent les conditions de son progrès.

     La littérature et l'art se sont épanouis pendant longtemps sous la forme de folklore : ces poèmes épiques, ces légendes, ces contes, ces proverbes, ces chansons ont servi de terrain à l'art des écrivains. Ces peintres et ces artistes s'inspirent des arts appliqués créés par le peuple ; l'art populaire constitue un trésor inépuisable de modèles et de procédés, une source d'exaltation pour les écrivains et les artistes, l'art populaire engendre et alimente la forme nationale de l'art et de la littérature de chaque pays ; la science plonge ses racines dans ce génie du peuple.

     Donc la culture n'est pas le privilège des possédants. En privant les masses populaires des bienfaits de la science et de la culture, en les maintenant dans l'ignorance, les exploiteurs ont trouvé une justification de leur suprématie de classe. L'intelligence et le talent ne sont pas un privilège de classe ; la force de l'esprit, du talent, de la volonté des milliers de travailleurs se retrouve dans toutes les créations culturelles.

Culture populaire, arme de libération

     La culture, arme de domination, sera l'arme de libération. Ici il faut se battre sur le terrain choisi par l'ennemi, mais un terrain remis d'aplomb avec les armes qu'il a choisies, mais armes rectifiées : la culture populaire. Le Camarade AHMED SEKOU TOURE le dit : «Les impérialistes utilisent les valeurs culturelles, scientifique, techniques, économiques, littéraires et morales pour justifier et maintenir leur régime d'exploitation et d'oppression. Les peuples opprimés utilisent également des valeurs culturelles de nature contraire aux premières dans le but de mieux combattre l'impérialisme et de se soustraire au régime colonial ».

     La résistance, puis l'offensive, s'organisent donc d'abord sur le terrain culturel. Le colonisé doit d'abord se ressaisir, faire un bilan critique des résultats des influences qu'il a subies de la part de l'envahisseur et qui se traduisent dans son comportement, dans sa façon de penser et d'agir, dans ses conceptions du monde et de la société, dans sa façon d'apprécier les valeurs créées par son peuple.

     Dans une première phase, il doit tendre à reconquérir sa personnalité en niant les valeurs culturelles qui l'ont dépersonnalisé, en décolonisant sa mentalité, ses mœurs, ses attitudes, en démantelant les constructions philosophiques de domination, dont notamment le mythe de la « mentalité primitive et prélogique » cher à Levy-Bruhl. Face au complexe de supériorité intellectuel et moral du colonisateur, il faut que le colonisé se libère de ses complexes d'infériorité et incarne l'homme dans ce qu'il représente de valeurs absolues d'aspiration à l'universel. En réalité cette première phase de libération, de lutte pour la liquidation des divers complexes du colonisé se confond avec la phase qui suit, celle de la reconquête des valeurs perdues, des attributs niés et perdus, ceux de l'homme doué de raison et qui pense et agit dans la dignité, la confiance en soi. La nature a horreur du vide, même sur le plan culturel. On ne peut vider le colonisé de la culture qui lui a été imposée, dont on l'a intoxiqué, qu'en lui proposant une culture de remplacement, en l'occurence sa propre culture, ce qui implique une action de résurrection, de revalorisation et de vulgarisation de cette culture. Mais cette action n'est possible que dans le cadre plus large de la lutte de libération nationale et de l'émancipation sociale. La culture ne peut s'épanouir dans toute son authenticité qu'à condition de supprimer les causes qui l'ont étouffée. Mais inversement, le culte de l'authenticité culturelle, le combat pour la reconquête de cette authenticité en accélérant la prise de conscience des masses populaires et leur mobilisation, accélèrent le processus de libération poiitique et social, ainsi que celui de la formation de la nation en créant le creuset au sein duquel le citoyen tout court se modèle, au-dessus de la tribu et de la race.

     Cet homme libre au sein d'un peuple libre, qui a retrouvé son équilibre physique et mental, peut désormais assumer la pleine responsabilité de son destin. Il peut et doit élargir sans limite les bases de son patrimoine culturel, les diversifier, les orienter afin d'éclairer toute action à entreprendre en vue d'améliorer les conditions de l'existence et de l'épanouissement. Les impérialistes ont dominé et opprimé les peuples grâce à une supériorité technique qu'ils se sont assurée au préalable. Les peuples à leur tour animés de la conviction que la faculté de chercher, de découvrir et d'inventer est la chose la mieux partagée entre les hommes, se lanceront à la conquête des sciences et des techniques. La culture scientifique, moyen des moyens de domination de la nature et de la production des biens materiels, est un facteur de progrès dans la création
de la culture tout court, culture matérielle; culture spirituelle.

     Oui, la culture est libératrice, arme anti-impérialiste, anti-colonialiste et anti-néo-colonialiste, arme de domination de la nature, à condition qu'elle soit une culture progressiste, révolutionnaire, créée, et consommée par le peuple sur la base de la ligne de masse. Seule une telle culture libère l'homme de lui-même, de ses tendances égoïstes, de la vanité et de l'orgueil, de la peur qui l'habitent. Seule une telle culture libère et émancipe un peuple en le réconciliant avec sa nature authentique et en lui ouvrant le chemin de l'avenir et de l'universel.

     Aujourd'hui, la libération nationale et l'édification du socialisme sont au programme de l'Afrique révolutionnaire. Impérialistes, colonialistes, néo-colonialistes de tout poil, armées de valets idéologiques, commerçants de peuples, ont pris peur devant la détermination de nos masses, vilipendent le socialisme et le présentent comme une idéologie de la peur ; l'unique raison de ce déploiement de forces contre-révolutionnaires est notre volonté de soustraire l'Afrique aux appétits de l'Impérialisme notre volonté d'édifier une Afrique étrangère à toute exploitation de l'homme par l'homme.

     Cependant, nous cautionnerions un déterminisme semblable à l'attentisme et au fatalisme, si nous réduisons 1'avènement de notre victoire à l'auto-destruction et anéantissement de l'impérialisme. Si ce système porte en soi les germes de sa propre disparition, l'histoire montre que la durée des régimes d'exploitation de l'homme par l'homme est fonction de l'intensité d'intervention et du niveau culturel des opprimés. Il importe donc d'aménager les conditions révolutionnaires permettant à l'homme du peuple de donner le meilleur de lui-même.

     La culture, synthèse des activités du peuple est un pouvoir dont la maîtrise démocratique confère aux masses des capacités insoupçonnables de création et de transformation matérielles et idéologiques.

Culture d'élite culture sclérosée
Culture des masses génératrice de progrès


     « C'est par le pouvoir culturel, écrit à juste titre, notre Camarade AHMED SEKOU TOURE, que le maître a pu justifier et maintenir sur l'esclave son pouvoir politique et sa domination économique... C'est par l'usurpation du pouvoir culturel (sous forme de science, de technique, de méthodologie et aussi d'art et d'une certaine vision du monde), poursuit-il, que l'impérialisme néo-colonialiste tient encore aujourd'hui en laisse maints gouvernements et exploite les peuples qu'ils ont mission de servir » (fin de citation).

     L'autre aspect du monopole d'élite, est le fait qu'il sclérose la culture ; préoccupé de bâtir une fortune de classe, le capitalisme ne peut féconder la culture. Il n'y a ni déterminisme économique unilatéral, ni idéalisme à affirmer que la faiblesse ou la disparition de plusieurs civilisations est due, non pas à l'irascibilité ou à une prétendue insuffisance morale originelle de l'homme, selon les lugubres philosophes bourgeois de l'histoire, mais au fait que la culture était un monopole d'une petite minorité ; la puissance technique et scientifique de cette minorité était l'expression parfaite de la fragilité de ces systèmes économiques et culturels. Seul le peuple créateur de la civilisation est capable de la faire progresser dans la mesure où le système social permet l'assimilation démocra-tique des techniques, dans la mesure où, dès lors, l'enrichissement du patrimoine culturel universel devient le monopole des peuples. La Démocratisation de la culture et de la science est ainsi la fécondation des civilisations progressistes.

     Seul le mouvement révolutionnaire peut restituer à la culture son essence humaniste.

     La culture est alors saisie dans sa bivalence essentielle.

     — Elle est domination du déterminisme physico-chimique à des fins progressistes.

     — Elle est orientation révolutionnaire de la société.

     La Révolution Culturelle suppose l'émancipation totale du peuple : dès lors, la Révolution Culturelle est la Révolution radicalisée. L'on ne saurait parler de socialisation révolutionnaire des moyens de production, lorsque le peuple propriétaire, est ignorant, incapable d'améliorer ce dont on l'avait dépossédé. La Révolutionarisation de la culture suppose deux aspects fondamentaux.

     — La culture est ouverte aux masses, démocratisation qui est le moyen de qualification des masses.

     — En élargissant la qualification intellectuelle, la révolution crée de nouvelles conditions de fécondation de la culture, de la science.

     Dès lors que le peuple a désormais conscience de ce qu'il crée, qu'il est seul responsable de l'amélioration des rapports sociaux, il est idéologiquement apte à assumer l'édificatlon d'une société étrangère à l'exploitation de1'homme par l'homme.

     La Révolution démocratise foncièrement la culture et la met au service de toute la société et non de l'élite ; la démocratisation de la culture permet à de nombreux talents issus des masses populaires, de se révéler dans tous les domaines de la création scientifique et artistique ; elle crée les conditions d'épanouissement des talents. Avec la Révolution socialiste, toutes ces valeurs appartiennent au peuple.

     L'œuvre artistique ne peut demeurer en marge de la lutte, de la politique, car chaque écrivain, chaque artiste, qu'il le veuille ou non, exprime dans son œuvre les intérêts de classe ; la révolution socialiste soustrait la culture au joug de la banque et permet de créer pour de larges masses populaires, et non de flatter les goûts personnels d'une stupide poignée de gavés.

     La culture, la technique font partie de l'ensemble de la cause révolutionnaire. Elles sont, écrit Lénine, « une petite vis » du mécanisme général de la Révolution. La Culture Révolutionnaire est pour les masses une arme puissante de lutte, une force matérielle; avant la Révolution, elle constitue un secteur important indispen-sable du front de la Révolution totale. La science, la culture, s'intègrent parfaitement dans le mécanisme général de la lutte; armes d'union et d'éducation pour frapper et anéantir l'ennemi, elles aident le peuple à lutter contre l'ennemi d'un même cœur et d'une même volonté.

Pour une révolution culturelle Africaine


     « Une armée sans culture est une armée ignorante et une armée ignorante ne peut vaincre l'ennemi » écrit un philosophe contemporain. L'Afrique doit s'engager dans sa Révolution Culturelle. Mais quelles sont les principales tâches de la Révolution Culturelle ?

     La Révolution Culturelle ne signifie pas négation de toute culture du passé, elle est continuation de ce qui avait été le plus beau parce que populaire en dépit de la volonté des exploiteurs. Il s'agit donc de :

     — Choisir dans le patrimoine culturel les valeurs permanentes, saines et rejeter tout ce qui est inutile, réactionnaire, les mœurs et les coutumes arriérées, les mauvaises traditions, les superstitions, les tendances aliénatrices et inhibitrices telles que la Négritude.

     — Transformer la culture de privilège d'une élite en apanage du peuple.

     — Elever le niveau culturel et scientifique de la classe des travailleurs pour assurer l'essor des forces productives.

     — Rééduquer et surformer les anciens intellectuels, encore récupérables car l'homme est perfectible à l'infini, tant qu'il peut se défaire de l'étroitesse petite-bourgeoise.

     — Créer les intellectuels d'un type nouveau.

     — Engager irréversiblement tout le peuple dans l'édification du socialisme.

     La Révolution restitue au Peuple ce qu'il a créé dans la tourmente séculaire de la lutte des classes, rend aux masses les acquis technologiques et scientifiques accumulés par leur labeur, qualifie constamment tous les moyens de lutte contre l'impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme.

     Dotés ainsi de matériaux et de dimensions requis, nos peuples, dès lors invincibles, lèveront plus haut l'étendard de la liberté, assumeront mieux leur rôle historique dans l'anéantissement définitif de l'impérialisme.