nation arabe

p. 5

     Déjà l'ombre commence à se dissiper.

     L'horizon s'embrase. Les premières lueurs de l'aube chassent devant elles les ténèbres épaisses d'une nuit gluante ; et avec elles, montent vers le ciel les premières clameurs audibles : des cris de liberté - de dignité - des appels à la fraternité.

     Déjà l'ébloulssant soleil de l'ennemi perd de son éclat. Dans ce halo annonciateur de grandes mutations, où les nuances intermédiaires diluent la couleur, combat incessant entre la lumière et l'obscurité dans lequel notre personnalité discute à notre ombre son droit naturel d'exister, se dessinent petit à petit les contours de notre visage. Invisibles pendant des années, nous nous surprenons soudain à regarder le soleil en face.

     Certes, nous ne sommes guère présentables : une vraie cohue. Tout relief et toute allure nous ont quittés. Usées au tranchant des années, nos peaux sont des guenilles. Nos voix ne portent plus. Mais si aujourd'hui notre chair, qui pèse tant à l'adversité, n'est plus maintenue par sa carcasse, elle l'est par l'espérance et la colère. Une colère qui nous pousse à exhumer notre généalogie ; à y puiser la force de résister et de combattre comme avant nous l'ont fait tant d'autres peuples. Car, dans nos laideurs et dans nos plaies, demeure radieux et stimulant le souvenir de la vie qu'on nous a volée.

     Sans doute l'Occident aurait préféré payer pour que nous demeurions des mendiants. Car Voilà que la marée de nos clameurs menace d'emporter ses digues de retenue,
Voilà que la forêt de nos poings levés envahit les terres incultes de son univers y faisant naître un écho insoupçonnable il y a quelques années,
Voilà que l'esclave, au mépris de Dieu et au mépris de l'Histoire, décide de se prendre pour le maître.

     Quelle chaleur, mes frères, se dégage de cette fusion du peuple avec ses harmonies ! Quelle incandescence rassurante sur l'avenir !

PALESTINE, DHOFAR, HADRAMAOUT, ERYTHREE.

Voilà que ces noms, aux résonances barbares hier encore, synonymes d'encens, de clou de girofle et de gomme arabique, deviennent sur les lèvres de nos peuples symboles de liberté et de justice sociale.
                     Peuples en luttes,
                     Aphrodisiaque de notre impuissance,
                     Etendard de nos espérances,
                     Baume de nos chairs meurtries ;
Vous êtes notre lune dans toute sa plénitude, mais vous êtes aussi la corde de notre arc et le tranchant de nos glaives.

     Nos ennemis savent-ils tout cela ? Etrange société où la vérité est devenue à ce point problématique que la foi elle-même en est atteinte jusqu'au plus profond d'elle-même.

     Qui sait ? Mais qui ne sait donc aujourd'hui que les valeurs réelles de l'Humanité doivent être défendues par l'énergie de ses enfants et le sacrifice des fils de chaque nation ;

     Qui ne sait que nos souffrances, tempérées par des mégatonnes de patience, sont devenues des bouillons surchauffés ;

     Que nos tentes de l'errance et de la solitude se gonflent du vent de l'espérance ;

     Que notre sang enfin se refournit en sel et en fer, prêt à se répandre pour que fleurisse la terre de nos ancêtres.

     Et s'il est vrai que nous sommes les descendants des pharaons du Nil et des Bédouins du Hedjaz, les héritiers de Jugurtha et de Massinissa, un jour le monde saura que nous sommes aussi la dernière génération des damnés de la terre.

     Chaque nuit, un jour a son aurore. Déjà à l'horizon, pointe telle une victoire notre visage de demain. Irrésistiblement, la remontée s'opère. Nous avons lesté le passé.


LA FORET EST EN MARCHE. QUI PEUT L'ARRETER ?

                                                                                                              j. b.