abdelaziz mansouri

pp. 23-27

         Tu te réveilles soudain et te voilà tout drôle.

         C'est un réveil apocalyptique qui vient brusquement comme un
         requin émergeant des hauts fonds après un sommeil de mitraille.
         Balloté dans son vertige tu ne peux plus dormir. Mais as-tu jamais
         dormi ? Qu'est-ce que le sommeil ?

         Et la gorge sèche comme si la lumière était passée par là tu te dis
                  Demain je me sentirai tout drôle de nouveau et le lendemain
                  aussi et les jours qui suivront. Et c'est parce que j'ai fait le

moi            choix d'encaisser les emportements de mes yeux. Ce feu. Et
périphéri   moi transbordé par tout cœur qui bat. Au fond je pense que
quement
                  j'en suis victime et j'ai toujours trouvé cela naturel.
                  Depuis que j'ai ouvert ces yeux j'ai passé mes jours à recevoir
                  et à faire des paquets des images qu'ils m'envoient.

                  Mais maintenant j'en ai plein jusque là. Et de recevoir et d'être
                  réduit à cette simple condition de spectateur de la honte.

         Tu ajoutes

                  Tout cela par la force de ma volonté. Mais assez discuté.

         Et tu vas te replonger dans la mélasse. Nausée en perspective pour
         un corps repu. Car tu redécouvriras la honte. Chaque jour. Toujours
         différente. Nouvelle comme ton pain du petit déjeuner que demain
         tu consommeras de nouveau. Par besoin. Par nécessité carrément.

Tu n'as pas ouvert la bouche.
C'est dans ton visage une malformation qui au lieu de créer la
parole la détruit. Ravalée. Muée en cette avalanche de regards jetés
contre ton corps revêche. En pure perte évidemment car il ne peut
se désagréger au moment où tu voudrais qu'il se disloque pour
faciliter tes communications que tu places au-dessus de tout.
Mais c'est ton ennemi mortel que tu exorcises là. Il pèse lourd au
point que tu ne peux plus le porter seul.

Alors tu sors et le jour t'absorbe.

             Du souk jaillit le cri de la folie
                          jaillit le mépris des héroïsmes gratuits
             du souk bourreau des légendes rosé-vert-jaune-bleu
             Le lieu où l'on devrait faire tant et tant d'affaires est noyé
             dans un fleuve de sueur est pris dans la crasse des ans et a
             construit le seul monument
                                                                              la honte d'être humain
             On porte cette honte sur ses épaules
             on en fait des cache-sexe des casquettes de douaniers des gilets
             américains des pantalons d'infanterie des pipes qui raffolent
             des mégots qu'une lèvre a colorés de rouge
             La honte se glisse sous forme d'olives dans du pain d'orge et
             se mange avec un thé crapuleux
             la honte c'est cette camisole ou encore cette natte cédée à prix
             d'argent au malfrat-je veux dormir
             la honte s'arrache à grands coups d'épaules et s'appelle je
             t'aime je t'aimerai toujours
             la honte se presse dans de longues processions de... la honte
             c'est ce papier où il est question de frondaisons de rivières à
             l'eau claire de temples d'amoureux - martyrs
             la honte c'est tout un vocabulaire qui peut aussi la recouvrir
             de pourpre et de vermeil

             Mais cette foule cette aliénation. A la base du cri. A la base de
             l'incendie qui consume nos corps salpêtres comme nos bon-
             heurs en visions rapides. Nous ne tardons pas à nous retrouver
             nous-mêmes. Au cœur de chaque réveil. Car nous sommes
             réveil perpétuel au centre de la cité.

             Attente d'une vocation qui se dérobe.
             Attente d'un signal inconvenu inconnu
                                                                 pour bondir de sa razza
                                                                 pour briser son sebsi
                                                                 pour manger ses boîtes de cirage
on attend dans son conscient enchaîné
on attend dans ses pupilles
on attend dans le train qui passe

             on attend dans le poisson qu'on pêche
             on attend dans son dépit muet
                          dans sa maladie incurable
             on attend l'inuisible l'impossible de vivre vivre

Et l'on circule pour passer le temps on se drogue pour passer
le temps on s'endort on se réveille on court on s'asseoit sur
ses babouches dans la halqa pour passer le temps on regarde
la télévision on va en prison pour passer le temps et l'on se
passe le mot
                          l'activité est morte
                          le monde est malade
                          et nous on est une humanité ambulante sans plus
                          qui naît pour attendre
                          qui meurt dans l'attente
                          bref on est trois fois rien pas plus humain qu'un cloporte

Et rien ne vient et de ces mains coupantes comme le fer qu'on
brandit. De ces doigts tendus comme les branches d'un olivier
infécond. Rien ne vient de cet œil désarçonné pour qui on a fait
des funérailles forcées.
Une horde de délire envahit ton sang partisan sans gloire de tes
désirs corpusculaires
Ton sang comme l'expression la plus banale du non fou qui t'arrache
gros lambeaux de vigueur et les anéantit.

 

Rien n'a changé tout est là et reste abyssal.
Le pain semble sortir d'un tunnel de mystères. La voix veloutée
du chanteur semble venir de très loin. Des livres qui ont tous
dénoncé la mort en définitive reposent comme des cercueils dans
une sépulture de famille

             II faudra que je brûle ces livres

Odeur de mort que tout cela.
La vie est au moins ignoble

             Foule aux mille visages aux univers multiples sans lien commun
             Caravane perdue dans la fièvre du besoin tu es dans ton vague
             des ruines d'un édifice à jamais inachevé
             une bifurcation tout de même dans ma cité de sommeil Foule
             tu es aussi l'homme qui passe
             Quand je passe je veux pénétrer au cœur de ton cœur
                          je veux me loger dans ton nombril
             mais tu es bâclée jusque dans ton nombril hernie et c'est dans
             le serein que je m'expatrie pour me rapprocher de toi.

            Froid cingle. Ce visage s'est réveillé face à des yeux qu'il a
           
reconnus comme siens. Et non pas tout à fait siens. Qu'importe.
           
Depuis le réveil l a compris. La rue s'imposait en prenant
           
la forme d'un complexe pour adulte. Vague cet homme
            blindé vague ce manteau ce bracelet-montre brillant sur
           le poignet sur un poignet. Ne pas tourner le dos. Regarder
           
encore. Cette femme laide encloîtrée derrière ses lunettes fumées.
            A passé en trombe n'a pas frôlé terre ni vu rien. Echapper
           
fuir fuir loin dans la matinée petite et frileuse.

Le geste ne s'achève pas et sa chaleur déjà incertaine le quitte et le laisse blanc inerte comme un linceul. Et tu voudrais crier mais tu ne sais pas quoi. Te voilà une autre tentative avortée sans rien sur les bras que l'incertitude. Pourtant le vieillard à la barbe hirsute n'a pas changé. Rien n'a changé. C'est le magnétisme que tu as cru découvrir en lui qui n'a pas eu d'aboutissement.

Tu es déjà parti sûr de n'avoir à te faire aucune raison. Aussi parce que tu ne sais pas. Toi au carrefour des intériorités. Les autres tels qu'en eux-mêmes. Et une prétendue parenté par le voisinage.

Cité enterrée. Autre présence. Celle-ci d'un silence authentique. L'oued entre le passé des oudaya et le cimetière où la brise. Une bouteille de vin rouge vide à l'ombre d'une tombe. Essayez-donc de deviner pourquoi l'on vient se saouler ici sous le froid. C'est le chemin des pêcheurs. Le môle est leur univers. La nuit. Un filin autour de la taille. La mer sombre. La mer pleine de mystères et les tombes tout autour. Les morts qui ne peuvent rien pour toi. Les premiers ils ont façonné tout l'homme que tu seras. Grands artisans de tares et de fatales contradictions

            Moi une idée bâclée déviée par une canne de borgne impotent
            Moi le souvenir d'une ornière boueuse
            Le mur n'avait pas d'angle et la main glissait sur cette philosophie
            La lumière ne s'y attardait pas et les sauterelles n'y avaient pas prise
            ces années qu'il en est tombé beaucoup

On part d'une cécité rituelle. Mais ce départ n'a pas de commencement. On peut se souvenir que c'est arrivé à un certain moment. Peut-être en même temps que ce premier point d'interrogation fixé sur le mur un jour de rêverie. Tu t'es réveillé et bien des choses font semblé bizarres. Sans savoir pourquoi tu as choisi le mur le plus blanc et tu l'as amoché. Un grand point d'interrogation. Le plus maladroit le plus sale que ta main inexpérimentée ait pu buriner. Ça t'a laissé pantois au point que tu as mangé comme un cochon ce jour dont tu n'as plus mémoire. C'est que d'autres ont suivi qui ont été pour toi capitaux.

 

Tu as bondi vers la maturité et cela t'a semblé légitime. Tu t'es écrié

        Moi je ne suis pas adolescent
        l'africain n'est jamais adolescent
        L'adolescence ? Connais pas

Voilà comment tu as vieilli d'un seul coup. Tu as beau dire
        Je n'ai pas de passé
        Je suis un réveil tout court
cela ne change rien car tu sens bien que tu vieillis. Au contact de chaque stupidité. Plus tu comprends les autres. Les barbus maigrichons ne sirotant pas leur café. L'angoisse des putains dépassées par l'âge. Les autres jours les complexes papa douceur, frustration maturité tous les marocains piliers de la famille

        Les morts réveillez-vous

Rien.
Les morts ne répondront pas. Te voilà tout en sueur. Empêtré dans cette strangulation de foulées vernaculaires. Mais les vivants sont là-haut. Déjà le minaret. Suivent les quartiers. Les venelles humides et dans l'air le chucho-tement des femmes amoureuses.Ta vie commence ici et là. Dans l'omniprésence de la ville. Pas solidaire la ville ni affectueuse. Mais tu la sens circuler dans tes veines et cela suffit.

Tu n'as pas ouvert la bouche pour autant. Mais déjà tu n'es plus seul. Le vieillard est encore là avec dans la barbe toute une philosophie. Dans l'éclat de ses yeux tu lis un frisson qui te prend par le nombril et t'empêche d'ironiser. Mais aussi tu ne donnes pas ta main à serrer. Tu penses que ça ne sert à rien et tu ne l'as pas caché. Ça ne sert à rien. Après quoi ils sont repartis à l'image du reflux. Tout doucement. Irrémédia-blement. Puis le silence s'est installé dans ta poitrine comme dans une forteresse. Et dans les boulevards. Dans les rues noires tu es resté seul. Perdu dans ta présence complexe. Bâtard jusqu'à l'ongle inutile. Les yeux éreintés. Dans la poitrine un fauve sur qui pas un exorcisme ne peut avoir de prise.

Le mot
        si
            le mot
Et tu as écrit