e.m. nissaboury

 

grotte

pp. 15-17

Lui, l'oiseau, avait ouvert de nombreuses portes ainsi que des fenêtres, la chambre était devenue une espèce de forteresse dont on n'apercevait qu'une partie des murs ; l'autre partie, ensevelie dans de l'azote. Selon lui, ces portes étaient ouvertes dans le but de faire entrer l'attirail extravagant dont il se servait pour déclencher ce-que-je-lui-ai-dit.

On l'appelait le volatile parce qu'il n'avait qu'une seule jambe et parce qu'il tenait quelque chose du faucon et d'Ali Baba. Volatile ? Vois pas. En tout cas la jambe manquante lui a été coupée par un génie noir qui l'avait jeté dans le désert d'Egypte ; ayant plus d'un tour dans son sac, le volatile avait réussi à changer le génie en âne et l'avait enfourché pour accomplir tout le voyage du retour, jusqu'en Chaouia, où il l'avait de nouveau transformé en caillou : Que devint l'âne qui était génie ? un caillou, un caillou.

Et puis il pouvait remuer tout un cimetière pour vous dénicher quelque vieux talisman (comme par exemple ces deux mâchoires de mouton attachées par un cordon autour d'une étoffe ayant servi pour les menstrues d'une jeune paysanne actuellement barmaid dans le sirocco) ou conjurer leur mouvement au-dessous d', ou tout simplement investir votre cerveau de temples akkadiens, sumériens, procéder à la résurrection de Ninive, ou de la fameuse Bilqis, reine et gazelle du Yémen. Il manie avec une égale dextérité l'ombre et les symboles mythologiques pour vous faire découvrir des trésors (il s'est accouplé avec une pieuvre) au milieu des ruines ou même en plein terrain vague fils de l'éboulement lumineux de l'Ecriture et de l'écorce qui Nous enfuma. Trop tard pour les machines, trop, l'amour de la femme Fendue du nombril à la colonne vertébrale, il fait la chasse aux reptiles, les avale goulûment ; il est en mesure de parer à toutes les calamités.

Voilà pour le sirocco. En ce qui concerne ton penchant, dit-il, pour les villes détruites, c'est une question d'épiderme et d'organisation biologique. Mais le volatile, lui, n'avait pas tout de suite saisi l'importance de l'épopée que je lui réclamais à grands cris. Saisissant une omoplate il la jeta dans l'une des portes qui nous entouraient. Mais je suis né sous la troisième lune des pérégrinations et il me faudrait des valises. Prends l'ascenseur. Je ne sais pas utiliser d'ascenseur ni de clé à molette, ni même manier un poste-radio, elle est vraiment débauchée pour moi. Fais appel à ta grande intuition ; mets l'humanité dans une main (la gauche), ton cœur dans l'autre main, ensuite tu mélanges, tu malaxes tu en fais une pâte bonne à étourdir les chacals, puis tu entres. J'entre. Je laisse le volatile derrière moi et j'entre. Il s'est enroulé dans les arbres et ouvert des écoutilles dans sa mémoire.

Je ne sais pas entrer dans une forteresse ? Peut-être qu'il y a et qu'il y a.Peut-être une femme dans un horizon plein de kif qui dit voici ton dîner. Peut-être que je ne sais pas danser le twist ? J'en ai vu qui dansaient le twist avec une jouissance incomparable, pleine d'affiches et de trolleybus, ou même avec une aisance fort pittoresque puisqu'on voyait la tête se balancer, et dodeliner à loisir. Ne parlons pas du corps entier, surtout les hanches, mais moi je ne sais pas danser le twist. Un peu la guedra. D'ailleurs c'est facile la guedra ; on n'a qu'à écarter les mains et les doigts faire comme comme les chameaux, c'est une chose du désert bien qu'elle soit étrangement moderne. Je veux faire l'amour et me battre ! voyez les arabesques si elles ne sont pas envoûtantes ; chaque motif est une parcelle d'âme mais est-ce que je peux dépasser, aller outre ? Bond inutile selon les astrologues à mesure que je fais état de ce côté tout à fait humain du dépaysement que je crains de rallonger à mesure que. Tout à fait d'accord avec moi-même, c'est l'essentiel. Que je rallonge encore. Les mutations. Je mettrai l'humanité dans les deux mains je calcule les distances du suicide et je me dis Aime les frères ils sont victimes des rêves multicolores de l'abeille et de l'incompréhension occidentale. Je n'ai jamais su, quant à moi, je n'ai vu que des turbans et des yeux avec une douleur longuement refoulée. Autrement dit :

Je laisse le volatile et je reconsidère ma boussole. Je n'ai pas encore franchi la porte, la forteresse est toujours là. Le volatile a parlé de navires. Parle mon frère. Il y aurait énormément de portes, mais toutes seraient faites d'illusions ; en vérité, elles n'existeraient pas, seule une princesse n'est pas soumise à cette abstraction à cause de ses mamelles, de ses mamelles bulbeuses. Je la franchirai. Ma seule condition est un oiseau irrationnel.

Il y a dans l'arbre généalogique quelque chose de terrifiant, surtout quand on a des tas de murs qui parlent à droite et à gauche. Une hécatombe. Il y a également les chameaux que l'on passe sous silence, vous vous rendez compte ? pas une seule photo dans le journal (j'en ai vu qui détenaient dans la gueule une poche pleine d'hydrogène et de sang coagulé faisant gou'â dans ce ballon veineux gros comme deux fois le poing).

Je ne franchirai aucune des portes, le volatile est purement légendaire, je sors. Je laisse l'omoplate, la princesse et la forteresse. Le miracle ce n'est pas du tout le fait d'être accepté avec sa tête oblongue bouffonne et chirurgicale ; à la fois comique et tragique ; pour une gravité digne des dieux de Jamâ'lefna ; sans parler de cette irritante nostalgie les mots d'amour qui vous jettent d'un bout à l'autre de vous-même. Le miracle consisterait en une carte de résistant que vous camouflez pour tromper votre incivilité, votre mépris des traditions séculaires ; votre calcul le plus souvent déraisonnable votre moyen-âge sexuel ; votre manque de rigueur et de pot ; votre non-sens de l'universalité, votre bouleversement circulatoire, vos dimanches pleins de complots. Je ne vous dicterai (dit le volatile) que la voix de la raison. On vous emmitoufle dans une gandoura, on vous décore au nom de la multiple fraternité, vos mains sont pleines de silhouettes, la forteresse la princesse et le reste. Tel est notre miracle camarades, faux, malheureux, bousillé de larmes. Avec une carte de résistant vous avez des galoches et du biscuit. Glorifions-nous cependant de notre voix, elle est irrésistible, nous appellerons étoiles les Mères de la fornication, l'oh comme j'aurais pu planer s'il n'y avait roses et roses dans la nuit. Comme nous aurions pu camarades. C'est d'une toute petite princesse qu'il s'agit de dévoiler le secret. Pour la gloire. On se tait. Le volatile est revenu.

Avec un volcan il est revenu. Dit que c'est tant mieux si les arabes ne connaissent rien à la métaphysique et s'asseoit. Moi m'sieur, je m'y connais à fond en métaphysique. Il dit ça va c'est formidable.

Ensuite s'adressant au volcan 0 volcan il le dévore et se met à incendier la forteresse qui s'écroule. Ne restent que les portes noircies où l'on chantera émerveillé la décadence des peuples, tendrement, digne, héroïque 0 volcan tu te caches dans les roses et les roses sont dures, soi-disant des roses qui trépassent 0 volcan brûle la chambre et Ninive et Bilqis : dérégler totalement la complexité de l'histoire, f... le camp, ailleurs, vers les bidonvilles où prendre les armes, ailleurs, ce que j'ai dit au volatile, le grand rire.

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                                                                                      vient de paraître


                                                                                     e.m. mssaboury

 

                                                                         plus haute mémoire
            

                                                                                         atlantes 3