Côte d'Azur: Le paradis perdu des
romanciers
Venus
des quatre coins du monde, pour faire des rencontres ou au contraire
pour se couper du monde, les écrivains ont longtemps été fascinés
par la Côte d’Azur.
La Côte d’Azur est un
miroir aux alouettes. Depuis plus d’un siècle, les écrivains s’y
précipitent pour vivre en pleine lumière. Ses reflets les fascinent.
Son soleil les apaise. Ils chassent le bonheur. Ils le guettent sur les
plages, dans les jardins, dans les palaces, et jusque dans les meublés.
Ils viennent des Etats-Unis, de Nouvelle-Zélande, de Russie, d’Angleterre,
de Pologne, d’Allemagne, de Belgique, parfois de France. Ils ne s’arrêtent
pas, ils se posent. Sauf quand ils attendent la mort, plus douce ici à
voir venir.
Maeterlinck, D. H.
Lawrence ou Gombrowicz y tissent paisiblement les fils de leur linceul.
La vieillesse se porte bien à Vence ou à Nice. Tout s’amenuise
heureusement. On devient esclave de soi-même. On a le temps de
découvrir que le temps est déjà passé. Ce pays de fêtes est gorgé
de mélancolie. Les moribonds y abondent. Ils se promènent sous les
palmiers en ne rêvant plus à rien...
Mais la plupart de ces
faiseurs de phrases, qui traquent la célébrité ou l’ont déjà
trouvée, ne sont là que pour mettre leur vie entre parenthèses. Pour
aimer, pour espérer, pour travailler, pour oublier, pour s’oublier.
Quelques jours, quelques mois, quelques années... Puis ils repartent.
Rares sont ceux qui y font leur nid.
Christian Arthaud et
Eric Paul nous les montrent dans leurs paysages. Ce sont toujours des
paysages sentimentaux. C’est que chacun entre ici de son plein gré,
avec je ne sais quelle espérance, ou quel désespoir, et pour répondre
à un appel dont il ignore le sens.
Qu’ils soient
désargentés comme Vladimir Nabokov ou richissimes comme Somerset
Maugham, qu’ils habitent une pension miteuse ou une villa somptueuse,
on les sent pris dans un enchantement. Ils sont prisonniers d’un
climat, d’une manière de laisser paresser la vie. Certains naviguent,
comme Maupassant, de Saint-Tropez à Monte-Carlo, à la recherche d’une
paix qui toujours s’évanouit et de femmes toujours changeantes. Il
tentera de se trancher la gorge à Cannes et ne reverra plus son yacht
Bel Ami, d’où il observait les mystères de la terre de cette
distance que donnent la mer et la folie. D’autres, tels Francis Scott
et Zelda Fitzgerald, se baignent à minuit, se nourrissent de
mondanités et mettent à la mode les plaisirs de l’été, sans rompre
avec la nostalgie, douloureuse et futile, qui occupe leur coeur. Les uns
rêvent de rencontres, les autres de fuites. Il y a les éclopés qui,
en quête d’une nouvelle liberté, cachent leur peine : Katherine
Mansfield à Bandol, puis à Menton. Il y a les glorieux qui
s'installent dans leur mausolée :
Maeterlinck dans son
palais Orlamonde, à Nice. Il y a enfin les malades (ils sont légion)
qui, de Stevenson à D. H. Lawrence, crachent leurs poumons à Grasse,
à Vence ou à Hyères. Leur soleil est crépusculaire.
Christian Arthaud et
Eric Paul, partant d’un lieu, partant d’un nom, brodent, de Toulon
à Menton, un canevas ou se croisent en de brefs chapitres qui tiennent
du guide touristique et du dictionnaire littéraire, des destinées
contraires sous un ciel bleu impitoyable.
Les îliens, Simenon à
Porquerolles, Supervielle, Jean Paulhan, Arland, Michaux à Port-Cros,
lieu mythique où la NRF prend ses habitudes, se coupent du monde avec
délice et jouent les Robinson. Il y a les terriens, et qui tournent le
dos à la mer, Breton à Castellane - le Verdon est un point magnétique
pour les surréalistes -, puis à Thorenc, Ribemont-Dessaignes à Saint-Jeannet,
Francis Ponge à Bar-sur-Loup. Ces derniers ont trouvé leur thébaïde.
Et puis il y a les
fantômes qui n’ont jamais cessé de nous hanter. Anton Tchekhov à la
Pension Russe, Nietzsche à la Pension de Genève, Marie Bashkirtseff à
la Villa Acquaviva. C’est Nice en hiver, la Riviera du Carnaval où on
peut voir, et presque toucher, la neige sur les Alpes. La seule saison
humaine pour les âmes sensibles. La seule supportable jusqu’aux
années 20. On trouve tout sur cette terre où l'artifice côtoie la
pureté. Des noceurs et des joueurs, des poètes et des ermites. Henry
Miller, toujours émerveillé, court les routes à bicyclette, Paul
Morand en Bugatti. Jean Lorrain, langue de vipère, épingle ces vieux
retraités et ces vieilles rombières ravalées et plâtrées, traînant
de vieux petits chiens mangés par le mites dont parle Roger Martin du
Gard, qui fera de Nice son port d’attache.
Enfin, il y a les gens
de lettres, qui se serrent, tels des moutons, dans des maisons amies où
on offre le vivre et le couvert. Gide à Cabris, à La Mesuguière chez
Madame Mayrisch, Loup pour les intimes. On y verra aussi, la villa
devenue Centre culturel, Valéry, Camus, Jouve, Montherlant, Saint-Exupéry,
Malraux, Claudel, même Sartre et Marcuse. Gide encore, et Valéry
toujours, chez Simon et Dorothy Bussy dans leur villa La Souco de
Roquebrune-Cap Martin où logent, pour des séjours plus ou moins brefs,
Virginia Woolf, John Maynard Keynes, Henri Matisse, Groethuysen, André
Malraux pendant la guerre... Bref, on ne se croirait à Pontigny. Ces
plaisirs renouvelés sont-ils lassants? Pour certains, oui ! Virginia
Woolf se désespère. Tous les jours, mêmes convives, même Rolls,
même caviar, même clapotis des vagues. Mais la promenade que nous
proposent Christian Arthaud et Eric Paul ne l’est pas. Ils nous
donnent les clefs d’une Côte d’Azur qui nous paraît aujourd’hui
si lointaine qu'elle en devient imaginaire.
Comme masqué par le
béton, par le grouillement des foules, par le poids écrasant des
vacances à la chaîne et de l’urbanisation. Nous traversons avec eux
un monde disparu où on rencontre Thomas Mann et les siens à Sanary,
Cocteau à Villefranche, Colette à Saint-Tropez, mais d’abord, mais
surtout, une douceur de vivre à jamais abolie.
Les derniers souvenirs d’un
Eldorado. La fin d’une fascination.
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