Notre garçon
de cour s'appelait Livoi. Il paraît que ses yeux ne s'étaient
éclairés que trois jours après sa naissance. «Il
voit, il voit!», s'était écriée sa mère.
Livoi fut son nom. Une voisine vaguement initiée prédit
qu'il serait un peu voyant. C'est vrai, Livoi Civil avait un don pour
préparer les coqs de combat, et il faisait souvent des rêves
prémonitoires.
À dix-neuf ans, il était
descendu de Miragoâne avec un coq tout rouge, et ma mère
n'était pas très d'accord pour l'engager avec son coq,
mais il fit le serment de le garder dans sa chambre. Chaque soir, avant
de se coucher, il le coiffait d'une chaussette noire et le perchait
sur le dossier d'une chaise placée à la tête de
son lit. Soucieux de ne prendre aucun risque, Livoi coinçait
des chiffons entre porte et chambranle pour masquer l'aube. Mais ces
précautions-pas-capon ne durèrent que le temps pour lui
de se familiariser avec nous et avec la cour, le temps qu'il lui fallut
pour m'ensorceler avec ses histoires de combats effraïques, paris
tués tête-noire, coups d'éperons dévastateurs,
yeux crevés, plumes qui volent et jamais ne retombent, sommes
fabuleuses amassées dans les gaguères de l'Anse-à-Veau
et de Petit-Goâve. Une seule fois une seule il avait consenti
un nul, et pas dans n'importe quelles conditions! «Contre un gros
gris coq méchant, coq divino, coq monté, Msié
Michel, combat dont on se souvient jusqu'au jour d'aujourd'hui à
l'Éperon d'Or chez Prévilon Présumé»,
avait-il affirmé. Autant j'y pense et plus je crois que ce papa-coq
était un coq sans viande!» Et, il s'était
tu, comme si l'évocation d'un tel souvenir risquait de provoquer
la colère des mauvais esprits toujours prompts à nous
précipiter dans le malheur.
Pressé de questions il avait fini
par avouer: «Tu vas chez le houngan. Il t'envoie acheter un coq.
N'importe lequel. La couleur qui te fait plaisir. Vraiment, tu achètes
un coq selon ton goût. Tu retournes chez le houngan. Il dénoue
la ficelle enserrant la patte de l'oiseau. Il te la passe autour du
cou. T'ordonne de t'asseoir au pied du poteau-mitan avec une tasse d'eau
dans la main droite et une bougie allumée dans la gauche. Puis,
sans aucune autre explication il disparaît à l'intérieur
du houmfor avec ton coq. Juste avant que la bougie ne s'éteigne,
il revient, s'empare de la tasse, arrose copieusement le coq, le soulève
à bout de bras; le présente au quatre points cardinaux
en invoquant les loas, abobo! Ensuite, il te débarrasse de la
ligne et la noue à un clou planté sur le poteau-mitan.
Enfin, il te redonne ton coq et dit: "Tu peux aller, rentre chez
toi et mange-le." Tu ne sais pas trop quoi faire, mais il insiste:
"Ce que tu as entendu! mange-le, mais il ne faut pas briser les
os. Mange la viande et rapporte-moi les pattes, le bec, les plumes et
les os. C'est tout".
O.K., tu fais ce qu'il t'a dit. Tu manges
ton coq en surveillant la famille et tu lui ramènes les précieuses
reliques. Il les prend, compte les os, soupèse les plumes. Puis,
te redonnant la ligne qu'il avait accrochée au poteau-mitan,
il te renvoie avec le sentiment d'avoir perdu ton argent.
« Le lendemain matin, grand matin,
tu entends le chant d'un coq dans la cour, tu te précipites pour
voir de qui prévient et, miracle, perché sur l'entourage,
tu retrouves le coq que tu as mangé la veille. Un coq zombi.
Des plumes et des os. Un coq sans viande. À la gaguère
il est imbattable. Ne sent pas les coups. Ne saigne jamais...»
Un autre jour, Livoi me raconta une histoire
encore plus ahurissante qu'il tenait de son oncle du côté
maternel. Celui-ci connaissait un homme signé Engrand devenu
très riche grâce à une conversation surprise dans
les halliers, entre Carrefour-Dufort et Carrefour-Fauché, où
il s'était réfugié afin de satisfaire à
un besoin naturel et pressant. Alors qu'il était accroupi en
se soulageant, il vit, un peu plus loin, un inconnu qui s'adressait
à un coq juché sur la plus basse branche d'un manguier:
«Je t'en prie Gros-Sirop, cesse de me mépriser,
descends de là et dis-moi sans plus tarder, comment tu vas me
faire gagner dimanche prochain, à la gaguère de Petite-Rivière-de-Nippes...»
Et l'homme le caresse de la voix, lui
fait mille promesses, tant et si bien que le coq consent à descendre,
mais il semble encore fâché, gratte le sol avec colère,
comme si avant de se décider à parler il voulait obtenir
quelque chose. Excédé, l'élément finit par
sortir trois petites fèves de la poche de son pantalon et les
lui donne à manger. Aussitôt le coq chante et dit: «D'accord
mon compère, voici ce que nous allons faire. Au début
du combat je vais me laisser malmener... Dès que nos adversaires
seront convaincus que ma cause est perdue, tu prends un maximum de gabelle.
Une fois les mises ramassées, tu te grattes le front. Ressuscité,
je tuerai mon adversaire d'une seule espante bien placée
dans le trou de son oreille.»
Engrand remonta son pantalon et suivit
ce couple étrange durant plus d'un an dans toutes les grandes
gaguères du pays. Il amassa un tel magot, qu'à l'heure
où je te parle, il possède cinq maisons à louer,
trois tap-tap baptisés Bon-Sirop, Ventre Fait Mal
et Merci l'Éternel, une vingtaine de vaches, sans compter
les poules, cochons et cabris...
* * *
Les galéjades de Livoi marchèrent
si tant bien dans le bois de ma tête, que je me mis à regarder
son coq d'un oeil différent, allant jusqu'à le comparer au
roi Arthur, au Cid, à d'Artagnan. N'était-il pas la réincarnation
de l'un de ces preux chevaliers, vétérans des croisades qui,
porté par le vent paraclet au-delà des siècles et des
océans, serait venu jusqu'ici mettre sa bravoure au service des malheureux
opprimés? Dans son armure de plumes étincelant au soleil,
ce galliforme de race avait droit à plus d'égards et de respect.
Son bec était une hache guerrière. Son cou dénudé:
le bras vengeur. Ses éperons: deux fers de lance. Son chant: le clairon
appelant à l'insurrection.
Au gré de mes lectures, de mes leçons
d'histoire et de religion, il fut tour à tour: Ogou, Samson, Spartacus,
Saint Michel, Attila, Dessalines, Capois-la-Mort, le Che avec un fil à
la patte, prisonnier dans la cour derrière chez moi. Obligé
de passer la nuit dans la chambre d'un domestique, privé de lune
et de liberté, ce demi-dieu ne pouvait plus continuer à vivre
dans de telles conditions. Honteux, je fis libérer Café-Amer
pour le jouquer au crépuscule, sur le pied-corossol tout près
de la baie vitrée du salon, convaincu que le serein fortifierait
ses jeunes plumes.
Afin de se protéger contre une éventuelle
grosse colère de ma mère, qui aurait pu lui coûter son
job, Livoi m'investit du titre solennel de parrain exclusif, seul responsable
de son coq devant elle et devant l'Éternel. Il profita de l'occasion
pour m'annoncer que nous allions commencer le soignage, et qu'il fallait
vite-vite trouver une poule pour faire baisser les chaleurs, très
important!
Conscient de mes lourdes responsabilités,
quelques jours plus tard, je subtilisai une oiselle, une belle jeune poule
dont le destin allait s'achever sur la table familiale en compagnie d'autres
volailles, à l'occasion de la fête de ma frangine, et pour
obliger Cia, notre cuisinière, à tenir sa bouche, je la menaçai
de mettre du verre pilé dans le gâteau d'anniversaire. Peu
après, Livoi s'introduisit dans sa chambre et glissa un crapaud dans
sa mallette. Cia fit un tel saisissement qu'elle dut boire trois thés
amers pour se remettre de ses frayeurs. «Ne surveille pas ta langue
et c'est un hibou frisé qui va passer par-dessus ta chambre!»,
lui dis-je, au petit déjeuner, pour maintenir la pression.
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Coq-pintade de Fritzner
Lamour.
30x24, huile sur toile. Collection Michel Monnin, photo de Bill
Bollendorf. © 1986 Fritzner
Lamour.
(cliquez pour agrandir l'image)
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Alors, elle dormit-rêva que son cousin Amédé décédé
aux Cayes depuis cinq ans déjà la conjurait de se méfier
de Livoi et de son bel coq: «C'est un gros wangateur qui
a enterré une tortue sous ta cuisine, lui avoua-t-il, avant de
retourner dans sa tombe».
Dès lors, mort ne sachant point mentir,
Cia refusa de partager sa nourriture avec Livoi et, durant la cuisson, ils
se surveillaient dessus dessous leurs chaudières respectives. Le
climat était tendu. Même la lessivière fut mêlée
à l'affaire.
Indifférent à cette querelle
de cuisine, Café-Libéré ne laissait pas souffler
la poulette, et nous étions embrouillés dans nos calculs
bâtons et croix tracés au charbon sur le mur du garage
tant l'appétit de mon filleul était boulimique et expéditif.
Selon le plan d'entraînement, il devait la couvrir au moins cent dix-sept
fois en sept jours. Au sixième jour tout fut accompli. Livoi était
aux anges, et la poule aux abois s'envola sur le dos de la cuisine; le coq
aussi, où, plus près du ciel, il la prit une cent dix-huitième
fois sur la tôle.
Devant ses réchauds, Cia qui, depuis
l'affaire du crapaud, s'était mise à parler toute seule, ne
manqua pas de réaffirmer ses convictions: «Si c'est bon pour
lui, Livoi le verra!... Nègre-morne gros souliers paresseux mal éducation...
Plus tard, plus triste... Port-au-Prince n'est pas Miragoâne... Pauvre
diable Msié Michel... Livoi lui a pris la tête!»
Et la poule qui n'avait plus sa raison se
mit à chanter-coq. Un cri rauque et saccadé. Caquetage grotesque
et désespéré. Il lui poussa un éperon. Folle
d'amour, elle s'en allait, ivre et chantant avec des trémolos dans
la voix, conter fleurette aux canards, aux chiens et aux pigeons. Se livrait
à toutes sortes d'extravagances le long des jambes de nos pantalons.
Paranoïa somme toute bien naturelle quand on pense aux Brésiliennes
du Bois de Boulogne des coqs qui font les poules!
Par contre, je doute encore
que les gallinacés soient de la famille des mammifères édentés
bien que Cia m'ait montré les six tétines d'une poule qu'elle
venait de vider pour la découper en morceaux: «Quand les poussins
rentrent sous son ventre, c'est tété qu'ils tètent,
Msié Michel!» Vous admettrez qu'il y a de quoi s'interroger!
Considérant l'ambivalence et la promiscuité de l'appareil
génital chez le coq, il peut arriver, fait rarissime, qu'un ovule
fécondé se retrouve où tu penses, bien au chaud, quand
l'épée est remise au fourreau... «En aucun cas l'oeuf
d'un coq ne sera plus gros que celui d'un pigeon», nous apprend le
Larousse illustré de la vie des animaux, tandis qu'ici en Haïti
les coqs pondent à qui mieux mieux des oeufs aux pouvoirs magiques
et aphrodisiaques très recherchés.
Ayant brillamment réussi
à faire tomber les chaleurs de notre coq, sans plus tarder, il fallait
le préparer pour la
gaguère selon un rituel fort compliqué
dénommé: l'occupation.
1. Dès qu'on lui a coupé
la crête, le coq est attaché à l'aide d'une ficelle
appelée ligne dont la nature, la longueur, l'épaisseur,
ainsi que la provenance sont de la plus haute importance. Une fois choisie,
la ligne accompagnera l'oiseau durant toute sa vie guerrière.
Dans un «combat à la plume», la perte du coq entraîne
automatiquement celle de la ligne. Laissée en possession de
l'ex-propriétaire ou d'une main criminelle, elle suffit pour gâter
le coq auquel elle appartenait, et faire d'un champion un minable qui s'enfuira
tout de suite après l'ouverture du combat.
2. Il est recommandé de déplumer
le cou du guim afin de rendre plus difficiles les prises de bec de
l'adversaire. Ainsi dénudé, le cou est, par contre, beaucoup
plus vulnérable aux coups d'éperons, d'où la nécessité
de durcir la peau par un traitement au gingembre.
3. Indispensable de lui raser le dos,
le ventre et les cuisses. Ainsi allégé, il «monte»
mieux, s'essouffle moins, résiste davantage aux chaleurs. Se méfier
des jeunes plumes dont la tige regorge de sang. Les arracher trente-six
heures avant le combat.
4. Chaque jour, le coq est arrosé.
Le soigneur mâche du gingembre, ajoute un peu d'eau et d'alcool dans
sa bouche avant de pulvériser le mélange sur l'oiseau. Ensuite,
crachant la pulpe dans ses mains, il masse et presse les membres: c'est
l'opération du «râlage».
On attribue à l'odeur forte et
poivrée du gingembre, en plus de son action tonifiante, des vertus
combatives aussi mystérieuses que les liens subtils et tenaces
qui unissent le coq à son soigneur par l'intermédiaire
de la ligne. À se demander si les effets combinés
de la ligne et du gingembre ne sont pas aussi bénéfiques
et redoutables que les correspondances édulcorées, méthyliques
et méphistophéliques, existant entre la mandragore et
la corde d'un pendu.
5. Déjeuner: un jaune d'oeuf,
un doigt de rhum, une poignée de maïs en grains, la moitié
d'une banane (banane-franc de préférence) et une pincée
de sel. Quelques piments-zoiseau et du persil en guise de vitamines.
Dix heures: arrosage au gingembre, massage
à mains nues, râlage avec un mouchoir rouge.
De onze à douze heures: chauffer
soleil.
Seize heures: exercices d'endurance, suivis
d'un bain de sable.
Souper: maïs moulu, mouches et cancrelats.
La nuit: le jouquer sur un arbre aromatique
(oranger, citronnier ou corossolier), dont les effluves ont un effet soporifique.
Choisir un arbre convenablement orienté.
* * *
Un après-midi, au retour de l'école,
je trouvai Livoi armé d'un coq-pays sautant et cabriolant
à la barbe de Café-Amer pirouettes et galipettes
ponctuées par les cris joyeux de la domesticité accourue du
voisinage. Seule, Cia était restée dans sa cuisine à
bougonner.
Bouillonnant de rage, Café
se lance à l'assaut du «pays», mais, chaque fois qu'il
va atteindre sa cible, Livoi se dérobe, et notre champion se retrouve
le cul dans la poussière...
«Je t'attendais avant de passer aux
choses sérieuses», dit Livoi en m'apercevant et, afin d'éviter
un accident malheureux susceptible de compromettre les chances de mon filleul,
il casse l'un après l'autre les éperons du pays avant de le
lâcher pour de bon.
Prip! les deux coqs montent ensemble, se
soufflettent, s'entrechoquent, se repoussent et se lancent à nouveau
l'un contre l'autre, tant et si bien qu'après une dizaine d'échanges
furieux, le leurre, malmené et sanglant, se met à reculer
sous le feu nourri des pattes et des ailes de notre coq fanatisé
par les hurlements de la foule. Poursuivi par son bourreau et la horde des
domestiques en délire, le voici qui s'enfuit en direction du Manoir-des-Lauriers.
«Les coups sont trop chauds! Le pays n'en peut plus», crient
les uns. «Coq l'esprit, intelligent», constatent les autres.
«Le voici qui gagne l'ambassade!» et chacun y va de sa plaisanterie
sans se rendre compte que nous nous enfonçons de plus en plus en
terre étrangère. L'ambassadeur, (Grand-Croix, Croix de Guerre,
Croix de Lorraine) somnolant bien au frais sur sa terrasse aérienne,
ne fait qu'un bond et, croyant à une charge de cavalerie, se précipite
à la recherche de son sabre de quatorze juillet, casse une potiche,
tombe à la renverse. Au rez-de-chaussée, la sentinelle, elle
aussi à faire la sieste, se réveille en sursaut, dégaine
et, apercevant son reflet dans le grand miroir du salon, tire trois balles
sans sommation dans la glace Louis XVI qui vole en éclats... «Coq-là
bien soin, bien occupé et li méchant, Msié Michel!»,
exulte Livoi avant de battre en retraite. Chacun de prendre ses jambes à
son cou...
Dire que cet incident a failli provoquer
une rupture de relations diplomatiques!... Il courut bruit qu'une bande
de va-nu-pieds conduite par un petit blanc, sorte de nain grimaçant
et volubile, un agitateur qui, sans doute, appartenait à la C.I.A.,
avait fait irruption en territoire tricolore, gros cinq heures de l'après-midi.
Commando armé de pioches, râteaux, balais, plumeaux, torchons,
sécateurs, fers à repasser précédé
de deux coqs de combat n'ayant rien de gaulois, et qui, vraisemblablement
allaient être sacrifiés dans les jardins de l'ambassade aux
esprits guerriers de Guinée et du Pic Macaya lors d'un rituel faisant
irrésistiblement penser à celui de la cérémonie
du Bois-Caïman, lourd présage d'événements aussi
sanglants que ceux qui engendrèrent l'épopée de 1804...
Heureusement, ma mère était
chez le coiffeur, et Cia, à plat ventre dans sa cuisine, n'osa point
nous dénoncer, car elle vivait toujours dans la crainte de voir le
hibou frisé, passer au-dessus de sa tête ululant.
Après le dîner, Livoi mima ce
premier combat de stature internationale et conclut en ces termes: «Café-Amer
souffre encore de quelques chaleurs malvenues, ainsi que d'une certaine
raideur dans la cuisse gauche mais, avec la lune en troisième boulevard,
il sera fin prêt pour la gaguère». D'autant plus prêt,
pensai-je, qu'à cette date, la lune serait en parfaite conjonction
avec sa paye!... Il se frappe les flancs des deux mains. Chant du coq dans
le corossolier. Victoire infaillible.
* * *
La veille du jour J., nous juchâmes
Café-Amer sur la plus haute branche d'un flamboyant face au
lever, face au destin, libre de vaincre ou de mourir.
Tout de suite après, Livoi s'enferma
dans sa chambre avec une compresse de feuilles de mombin, nouée sur
le front. Il ne réapparut qu'au petit matin, chiffonné: «Mauvais
rêve Msié Michel! Il faudra attendre dimanche prochain»,
dit-il sans égard pour la lune. «Tenez, voici mon argent, gardez-le,
j'ai trop peur de le dépenser...»
Sept jours plus tard, même heure: «Parlez-moi
de ça!», dit Livoi en se précipitant à ma rencontre.
J'ai dormi-rêvé que le cheval d'Elixon, cheval blanc, chargé
couler-bât de bauxite, tombe au milieu de la route, quatre pieds longs.
Refuse de se relever, malgré la flamme d'un briquet allumé
sous sa queue. Nous allons perdre un cannel!... Rêve aussi clair que
l'eau d'une noix de coco. Dommage que nous n'ayons plus d'argent.»
S'emparant de Café-Amer, il le fait sauter d'une main à
l'autre, lui donne des petites tapes affectueuses dans le dos, le présente
aux quatre vents à des ennemis imaginaires, le lance en l'air, le
rattrape, le lance loin devant lui, et le coq s'envole, décrit des
arabesques, revient se poser délicatement à quelques pas de
nous, gratte le sol en colère, chante!
«Nap touye frèt» répond
Livoi... la vie est belle!
* * *
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La Photo à Saint-Louis de Gonzague,
toile du peintre Jacques-Enguerrand Gourgue (1930-1996). Le personnage
qui tient l'ardoise n'est autre que Michel Monnin... 30x40, huile
sur toile. Collection Michel Monnin, photo de
Bill Bollendorf © 1989 Jacques-Enguerrand
Gourgue (cliquez pour agrandir l'image)
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Livoi m'avait donné rendez-vous
sur le Pont-Morin, après la messe à Saint-Louis-de-Gonzague
chaque dimanche en uniforme pantalon blanc veste bleue souliers
noirs sous peine de péché mortel, Chapelle Saint-Louis,
implorant la béatification du vénéré Père
Jean-Marie de Lamennais fondateur de la congrégation des Frères
de l'Instruction Chrétienne, mes professeurs. Durant l'office
je me demande ce que Livoi est en train de faire avec son coq. Odeurs
d'encens, relents de bière et de soutanes, vibrations des orgues,
chants grégoriens, clac, clac! le claquoir du préfet de
discipline: une fois debout, deux fois à genoux, priez pour nous...
À la consécration j'entends
trois pièces sonner dans la poche de mon pantalon, Tonton Nord, Salomon
et un cuivre, les trois pièces que Livoi m'avait tout spécialement
confiées le matin même. «Il ne faut pas oublier de les
ajouter aux mises, juste avant le combat, 0 gourde 35, très important!»
Saisi, je faillis les donner à la quête, et Dieu seul sait
ce qui aurait pu nous arriver!
Après la messe, tous les élèves,
en rang par deux, devaient retourner en salle de classe et en silence, écouter
le Très Cher Frère nous parler de Saint Augustin, Jésus,
Marie, Joseph, Barabas... Les Pensées d'Alain... Liste des films
à proscrire... Endurer le coeur cassé la lecture d'une page
de savoir-vivre annonciatrice de l'inexorable distribution des cartes de
diligence: rose c'est bon!, vert malheur, blanc, ti mâle ou chiré.
Foutus: le billet de cinq gourdes bien rose
de papa, et la «Femme-Panthère» 6ème et 7ème
épisodes, suivis d'un grand film de cow-boys au Paramount, séance
de trois heures, entrée générale une gourde, pâté
chinois, trois Splendid et un kola bien frappé à l'entracte.
Adieu Place du Bicentenaire, fontaine lumineuse et petites demoiselles tournant
autour de la vasque à jets d'eau intermittents, belles mulâtresses
en tenue de soirée, griffes parfumées, marabouts de mon désespoir,
passant et repassant dans les allées fleuries en se tenant par la
main, chuchotant et riant, les petits messieurs en sens inverse Prip! les
regards se croisent sourire de Joconde, coup d'oeil tuatoire, petit
geste de la main, pincements de lèvres un mouchoir se déplie
tel un sémaphore, est-ce une promesse, un au-revoir? et les jets
montent ensemble de toutes les couleurs, tourbillonnent au son de la Septième
de Beethoven, ô vent, et ils redescendent.
* * *
J'avais trouvé une roue-libre jusqu'au
Club Camaraderie, tombé veste et cravate. Sur le Pont-Morin, Livoi
m'attendait portant le coq comme le saint sacrement.
Une dernière fois j'avais soupesé
le patchara, vérifié les ailes et les éperons, pressé
le gésier pour être sûr qu'il n'était pas trop
gonflé de nourriture et, tous les trois, nous avions remonté
la rue du Bois-Patate.
À la porte de la gaguère, nous
sommes accueillis par des hurlements frénétiques. Un coq passe
par-dessus la tête des spectateurs, et tombe lourdement dans la cour:
«Belle espante! s'écrie Livoi en acquittant les droits
d'entrée, s'il n'est pas qualité, il va courir!»
Nous nous précipitons. Arrivés
au sommet de la pyramide humaine entourant l'arène, nous voyons le
coq refuser de reprendre le combat et s'enfuir, lamentable, toutes plumes
dressées, tandis que les gagnants envahissent le ring en dansant.
Les perdants, eux, restent cloués sur les bancs, se tiennent la mâchoire,
se tâtent les poches en pestant contre le fugitif qui vient de lever
le pied avec leurs économies. «Quand on a un tel tocard, on
ne vient pas à la gaguère faire perdre les honnêtes
gens! ça un coq? Son propriétaire aurait mieux fait de le
manger!»
Ceux à qui il reste quelque argent
finissent par se lever et partir, qui vers les tables de jeux, qui vers
les étalages des marchandes pour s'envoyer coup sur coup des petits
verres de tafia, sans oublier les morts, trois gouttes versées sur
le sol, dans la poussière.
* * *
Environ quinze minutes après la fin
d'un combat, des coqs frais sont introduits dans le cercle, pour l'interminable
cérémonie des demandes, au cours de laquelle, les coqs sont
présentés les uns aux autres, jaugés, tâtés,
toisés, soupesés. «Ton coq est un gros-nègre!
Celui-ci trop haut! Celui-là trop zépon!» Palabres interminables.
Les coqs, fil à la patte, se regardent méchamment, battent
des ailes, chantent tous à la fois. Et les joueurs consultent les
amis, envoient des espions aux renseignements. Les vieillards, les enfants,
les marchandes, même les mendiants sont interrogés.
Enfin, un pari semble trouvé. Le juge
s'approche. Pour s'assurer du sérieux des futurs adversaires, il
prélève une caution. Les canifs s'ouvrent. On va aiguiser
les éperons, quand un homme au visage chafouin se dirige vers l'un
des galiadors et lui chuchote quelque chose à l'oreille. Aussitôt
le soigneur arrête les préparatifs. Jetant un regard anxieux
au propriétaire de l'oiseau, il lui fait signe de venir. Ils échangent
quelques paroles, consultent leurs supporters. C'est fini! Le soigneur reprend
sa ligne des mains du juge et, l'ayant passée trois fois sous
sa jambe gauche, deux fois autour de son cou, il la remet à la patte
du coq. Ceux qui ramassaient les mises sont si contrariés, qu'ils
s'embrouillent dans leurs calculs en restituant leur argent aux joueurs.
Ils comptent et recomptent ces pauvres gourdes, s'en mettent quelques unes
entre les dents.
* * *
À treize heures, un cannel vint faire
sa demande.
«Le voici!», me disent les yeux
de Livoi dans un éclair. Un Livoi imperturbable jouant à celui
qui n'a rien vu.
«Eh toi, l'homme à la chemise
jaune! Je te défie...», dit l'homme au cannel en s'accroupissant
pour présenter son coq: «Je te défie!... Si tu...»
et plop! Livoi Civil dépose Café-Amer sur le sol.
Aussitôt, les coqs se menacent cou
tendu, grattent le sol, tirent sur leur ficelle, tremblent de colère.
D'un hochement répété de la tête, le propriétaire
du cannel nous presse de prendre une décision tandis que Livoi, détendant
légèrement sa ligne, laisse les deux coqs se livrer
à une joute d'essai, évalue les risques, sous les regards
intéressés de nombreux parieurs qui déjà nous
entourent. L'un dit: «Ce petit blanc et son gérant-lakou, sont
fous pour oser croire qu'ils ont une chance contre le pangnol grande race
du redoutable Philistin», et il rit. «Tais-toi, dit un autre,
laisse-les commettre cette erreur et nous pourrons donner de la gabelle
d'entrée de jeu.» Alors je dis: «Vous allez voir!»
Et je ne dis plus rien, conscient de l'imminence du danger. Brusquement,
j'ai très peur pour l'avenir de mon filleul qui me semble si vulnérable
et fragile face à l'ogre de Philistin.
«Je ne hais pas leur coq», dit
une voix derrière moi, et je me sens aussi fort qu'un taureau-boeuf.
Livoi semble réfléchir. Fait-il
l'addition de ses dormi-rêvés? Pense-t-il à sa famille
restée là-bas à Miragoâne? Adresse-t-il une prière
muette au Très-Haut?
Enfin, d'un large geste de la main, geste
fort, empreint de noblesse et d'élégance (respect-mépris-fatalité)
il signifie à Philistin de marcher.
* * *
Les coqs sont aux éperons. Le cousin
fait la caisse. «Quatre dedans et six dehors», me dit Livoi.
J'ajoute mes cinq dollars, un pour Cia et quarante gourdes pour le voisinage.
«Combien avez-vous?», demande
avec morgue le secrétaire de Philistin laissant ainsi entendre bien
haut qu'ils ont beaucoup plus d'argent que nous.
«Cent gourdes», répond
le cousin misérable. Et nous voudrions ne pas être là,
dans cette chaleur, tout petits devant Philistin, avec la patte de Café-Amer
à l'horizontale dans la main de Livoi.
J'entends le bruit des dés secoués
dans la marmite, les chants des coqs comme des épées, les
dominos qui s'abattent, l'un après l'autre avec fracas.
Philistin nous regarde avec dédain.
Livoi jouant une fois de plus l'indifférence, caresse la chaîne
de son canif qui pend le long de la jambe de son pantalon. Il l'enroule
autour de son index, à gauche, à droite, enroule, déroule,
toujours plus vite. Le juge se rapproche... Déjà, comme dans
un mauvais rêve, la ligne du cannel réapparaît
quand, un personnage, tel Joubert observant la scène, sort de la
poche de sa veste, un billet de cinquante gourdes, aussi frais que notre
coq déjà copieusement arrosé et tremblant. D'autres
parieurs se joignent à lui. Livoi, comme si rien ne s'était
passé, se met à faire les ailes.
Taillées juste à la bonne longueur,
les plumes de l'extérieur des ailes sont aussi redoutables que des
dagues, et peuvent péter-plat, l'oeil de l'adversaire.
En fin de compte notre caisse se chiffra
à plus de cinq cents gourdes. Mais quand Philistin découvrit
les trois pièces: Tonton Nord, Salomon et Abraham Lincoln, consacrées
le matin même dans ma poche, à la messe de Saint-Louis-de-Gonzague,
il hésita. Il les tourna, retourna dans la paume de sa main. S'orienta
côté Sud. Regarda les montagnes. Murmura quelques mots. Se
signa. Frappa trois fois le sol des talons en crachant.
L'argent est remis au juge qui recompte patiemment
les deux caisses. Satisfait, il les glisse séparément dans
les poches de son pantalon. Regagnant le centre de l'arène, il secoue
sa clochette pour inviter les spectateurs à prendre place.
Après avoir accroché les lignes
à un clou réservé à cet usage sur le poteau-mitan,
il siffle pour inviter les galiadors (Livoi et Philistin) à se soumettre
au soucé-carré, opération consistant à sucer
la tête et les éperons de leurs coqs respectifs, puis à
passer leurs mains sur le dos et les ailes et le cou et le ventre de leur
oiseau, avant de les essuyer sur ses yeux. Preuves irréfutables que,
ni poudre magique, ni liquide empoisonné susceptibles d'aveugler
ou de ramollir l'adversaire, n'ont été placés à
ces endroits stratégiques. Mais comme on n'est jamais à l'abri
d'un ultime coup de poudre lancé en traître, l'opération
terminée, Livoi et Philistin s'éloignent lentement l'un de
l'autre, reculent tout en surveillant l'assistance.
Le juge encore une fois fait tinter sa clochette,
siffle pour faire évacuer les lieux. Impatienté par la lenteur
de certains récalcitrants, il s'empare d'un coco-macaque et décrit
des moulinets à ras le sol.
* * *
Le combat débute mal, très
mal. Le cannel haut en jambes monte bien et frappe comme l'orage, coupe
comme rasoir. Café-Amer pris à la gorge reste sans
réaction.
«Cinq à trois, cinq à
deux, à la cannelle cinq gourdes» hurlent les parieurs offrant
leur argent à bout de bras, et notre coq acculé contre la
palissade reçoit trois patasuèls.
«Gé-li pété, son
oeil est crevé», scande la foule tandis que des enfants perchés
dans les arbres jettent des feuilles dans l'arène, pour inciter Café-Amer
à prendre la poudre d'escampette. Les tables de jeu sont désertées.
Les marchandes abandonnent leurs paniers. Même les mendiants et les
éclopés se précipitent pour assister à la curée.
«Cinq à un, à le cannel
cinq gourdes!», mais il n'y a plus personne à oser risquer
un seul centime-cuivre sur mon filleul présumé borgne. Alors,
pour conjurer le mauvais sort, je mise stoïquement nos derniers deniers,
tandis que des assoiffés de meurtre et de lucre envahissent déjà
le cercle en criant.
«Juge, juge, juge-gaguè»,
s'époumone Livoi complètement dépassé par les
événements. Bon Dieu!, pourquoi nous as-tu laissé venir
dans cette gaguère, et ceci malgré les préparations,
les exercices, le dormi-rêvé du cheval blanc d'Elixon, étendu
quatre pieds longs sous une montagne rouge de bauxite, incapable de se relever.
N'est-ce pas Toi qui nous l'a envoyé ce bon rêve ô Jésus
tonnerre m'écrase. Ressaisis-Toi...
Tentant d'insuffler de nouvelles forces à
notre coq moribond, Livoi se suce violemment le pouce, ouvre son canif,
le plante sept fois dans le sol étincelant.
Pauvre coq, pauvre Café-Amer,
pauvre petit poussin. Et j'ai envie de voler jusqu'à lui, de le prendre
dans mes bras pour l'emporter loin de ces monstres hurlants et dansants.
«Juge, juge!», recommence Livoi
à bout de nerfs. «Juge!» Enfin le maraud se décide
à chasser les envahisseurs, empoigne son coco-macaque, décrit
des moulinets au ras du sol, frappe les retardataires en dessous des mollets,
siffle, et je vois mon filleul ivre de coups, pissant le sang, qui se met
à courir, courir court, court avec notre honneur et toutes
nos économies.
Livoi a viré au gris. Ses yeux sont
morts. Je le vois se raidir. Dans un dernier spasme, il déboucle
sa ceinture et, l'utilisant comme un noeud coulant, il se serre brutalement
la taille, tire sur les jambes de son pantalon.
Aussitôt, notre coq redresse le cou,
s'arrête sur ses pas et, revenant en arrière, il frappe le
cannel des deux pattes en même temps. Puis, il se remet à courir,
promène son adversaire de long en large, et prip!, se retournant
face à l'Espagnol, il l'éperonne de plein fouet. On entend
yap!, et déjà il repart en avant avec le coq blanc à
ses trousses. Stop et brip! «C'est ça!, bali, bali conça!
Li-bon, mettez zéprons!» Douce mélodie. Symphonie d'uppercuts.
Plumes qui volent. Coups de becs, coups de timbales. Fortissimo... pianissimo...
Grâce à Dieu, l'oeil droit de
notre protégé n'était que légèrement
griffé et, par Saint Jacques Majeur, Café-Ressuscité
réussit toutes ses attaques, tant et si bien que, dans jeu comme-çà,
le cannel prend une cervelle et tombe à la renverse. Philistin,
stupéfait, lance des regards angoissés du côté
de ses partisans et, tous ensemble, ils font craquer des allumettes qu'ils
jettent enflammées sur leur coq titubant; s'agenouillent, enlèvent
leurs chapeaux, les agitent frénétiquement pour éventer
leur oiseau.
Manès, adossé au poteau-mitan,
tient l'enfant par la main. Joubert est resté dans la cour avec sa
mule. Et de penser qu'il est là tout près de nous, avec sa
mule et son chapeau bien planté sur sa tête, m'apporte la certitude
que rien de mauvais ne peut plus nous arriver. Mais, après toutes
ces années: coups d'État, événements, coups
de fusil, têtes cassées, déchoukages, sang dans les
rigoles je ne sais plus si Joubert, Manès et le petit étaient
vraiment là, en ce dimanche de juin mil neuf cent cinquante-trois,
dans cette gaguère à Bois-Patate, là pour nous assister
dans le combat.
Et dans l'arène, le cannel se teinte
en rose, cerise, coquelicot, écarlate: rouge de plus en plus sang
de très bon augure...
* * *
Presque aveugle avec les années et
sept enfants à nourrir, Livoi est vendeur de loterie et de tchalas.
Comme si sa tête n'était plus aussi claire, et ses dormi-rêvés
de plus en plus embrouillés, indéchiffrables. Il ne s'occupe
plus de coqs-qualité, ne va plus à la gaguère. Sa vie
est un combat.
Tôt le matin il sort dans les rues,
monte et descend en criant ses boules. Port-au-Prince n'est pas Miragoâne.
Ses pieds lui font mal. Il est épuisé.
Dans son pays là-haut, sur les mornes
surplombant la baie de Miragoâne, la bauxite, elle aussi, est épuisée.
La Compagnie a fermé ses portes. Les bulldozers n'éventrent
plus la montagne. Quand la mine à ciel ouvert était en exploitation,
les routes menant au port d'embarquement étaient rouges de poussière
toute la longueur de l'année. On était pauvre, mais il y avait
de quoi vivre. On travaillait. Maintenant il ne reste que misère
et désolation. Comme si la tête du pays en s'en allant aux
U.S.A. avait emporté avec elle tout espoir.
En janvier soixante-trois, Livoi rêva
d'un numéro et garda le billet. C'était bien les chiffres
du troisième gros lot, mais inversés. «Msié Michel,
je n'ai plus de chance.» Comme si le gros lot pouvait lui ressembler,
pauvre Livoi, pauvre petit coq de province venu chercher la vie à
Port-au-Prince.
Et Livoi marche, marche, marche chaque jour
dans la ville immense en criant ses numéros, se fraye un chemin à
la lueur de ses yeux défaillants, monte et descend Lalue, rue des
Pucelles, Cinquième Avenue Bolosse, s'enfonce dans la boue rue Tiremasse,
Bas-Peu-de-Chose, rue Joseph Janvier, sue tout au long du Canapé-Vert,
porte sa croix jusqu'à la tête du Morne-Calvaire... habite
Sans-Fil.