souffles
numéros 10 et 11, 2e et 3e trimestre 1968

abdel aziz belal : la résistance palestinienne
et le mouvement révolutionnaire mondial
pp. 38-42

 

 
«Il est nécessaire de dévoiler inlassablement aux masses laborieuses de tous les pays, et surtout des pays et des nations arriérés, la duperie organisée par les puissances impérialistes, avec l'aide des classes privilégiées, dans les pays opprimés, lesquelles font semblant d'appeler à l'existence des Etats politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux - aux points de vue économique, financier et militaire -. Comme exemple frappant des duperies pratiquées à l'égard de la classe des travailleurs dans les pays assujettis par les efforts combinés de l'impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l'affaire des sionistes en Palestine, où, sous prétexte de créer un Etat juif, en ce pays où les Juifs sont en nombre insignifiant, le sionisme a livré la population autochtone des travailleurs arabes à l'exploitation de l'Angleterre.»
Lénine : Thèse nº 6 sur les questions nationale et coloniale (2e Congrès de l'Internationale Communiste. 1920).
«La tâche d'Israël au Moyen-Orient est la même que celle que réalisent les Etats-Unis d'Amérique au Viet-Nam.»
Déclaration de Lévi Eshkol avant sa mort. 1969.

 

     Avec la guerre du Viet-Nam, la question palestinienne commence à occuper le devant de la scène mondiale.

     L'une des plus grandes injustices de l'Histoire est en train d'être dévoilée au grand jour, et d'apparaître comme telle aux yeux des larges masses de l'opinion publique mondiale, à partir du moment où le peuple palestinien a pris la résolution de prendre les armes pour décider lui-même de son destin, et libérer sa patrie de l'occupation sioniste.

     Nul problème colonial ne fut plus obscurci que celui de la Palestine.

     Pendant longtemps, le sionisme sut manoeuvrer pour voiler la réalité et mystifier la conscience de millions de gens de par le monde, au point de leur faire perdre de vue la tragédie du peuple palestinien, spolié de son territoire, dépouillé de ses biens, réduit à l'état de «peuple-réfugié» vivant de la «charité internationale».

     Pendant longtemps, les dirigeants sionistes surent habilement jouer des contradictions entre Etats arabes, et des contradictions internes de ceux-ci, de leurs faiblesses, de leurs fautes, du poids de l'impérialisme qui les opprime, avec toujours comme objectif stratégique celui de consolider l'expansion de l'Etat d'Israël à partir de la frange de territoire palestinien que l'O.N.U., commettant la plus lourde faute de son histoire, leur attribua en 1947.

     Aujourd'hui, beaucoup de choses ont changé.

     La Résistance palestinienne devient le symbole et l'incarnation de la personnalité nationale du peuple palestinien, de son droit à la récupération de son territoire spolié, de sa volonté de mener une guerre de libération nationale jusqu'au bout, jusqu'à la satisfaction de ses aspirations nationales.

     L'injustice de l'existence de l'Etat d'Israël apparaît beaucoup mieux qu'avant, non seulement à cause du développement de la Résistance palestinienne, mais aussi parce que la colonisation sioniste s'étend depuis l'agression de juin 1967 à de nouveaux territoires arabes, dans la foulée du rêve colonial sioniste de l' «Empire d'Israël s'étendant du Nil à l'Euphrate».
 

L'ouverture d'un nouveau front de la lutte révolutionnaire anti-impérialiste

     La question palestinienne est, fondamentalement, une question de libération nationale. C'est une question qui fait partie intégrante du contentieux global que cherche à liquider le Mouvement de Libération Mondial dans sa lutte contre l'impérialisme et le colonialisme.

     Aucun artifice sioniste, aucune prétention démagogique de certaines forces réactionnaires arabes, ne sauraient masquer cette réalité essentielle. Et le mouvement de libération palestinien est le premier à réaffirmer constamment ce principe et à éduquer ses militants dans cet esprit.

     En vingt ans, trois guerres offensives israéliennes avaient chassé de leur terre natale deux millions trois cent mille Palestiniens arabes, nés musulmans et chrétiens, pour y installer des colons étrangers.

     Le projet sioniste s'imbriquait étroitement dans la stratégie de l'impérialisme vis-à-vis de l'Orient Arabe, vis-à-vis des peuples de cette région aux richesses pétrolières fabuleuses, pour tenter de «casser» leur mouvement de libération nationale et de révolution sociale.

     Ainsi, dès sa «naissance», l'Etat d'Israël était porteur d'une double essence qui ne cessera par la suite de s'affirmer et de se dévoiler Etat colonial d'un type nouveau et en même temps base impérialiste d'agression, de menaces et de chantage dirigée contre les aspirations nationales et progressistes des peuples arabes et, par là-même, contre l'ensemble du Mouvement Progressiste Mondial.

     Fer de lance de la contre-révolution au sein du monde arabe, l'Etat sioniste emporté par ses ambitions et les projets impérialistes de ses maîtres, au bout de sa troisième guerre d'agression, devait susciter, sans le vouloir évidemment, un de ces retournements dialectiques dont l'Histoire a le secret, et qui va marquer le commencement de sa fin: ce fut l'ouverture d'un nouveau front de la lutte révolutionnaire par la Résistance Palestinienne qui bénéficie de l'appui grandissant des peuples arabes et de l'opinion progressiste mondiale.

     Comme la lutte des Viet-Namiens, et bien que dans des conditions différentes, la lutte des Palestiniens et des autres peuples arabes à leurs côtés est en train d'acquérir une dimension mondiale parce que la fin de l'Etat d'Israël est dialectiquement liée à la liquidation des intérêts et de l'influence impérialiste dans la patrie arabe, région d'importance économique et stratégique vitale pour tout le mouvement de libération des peuples et le progrès de la Révolution Sociale dans le monde.

     C'est ce que les révolutionnaires du monde entier devraient comprendre.
 

Pas de coexistence pacifique entre les opprimés et les oppresseurs

     La légitimité humaine et historique de la lutte armée palestinienne n'est plus à démontrer.

     Ce qui se pose aujourd'hui, c'est la nécessité de l'appuyer par tous les moyens matériels, moraux et politiques, et ce devoir incombe en premier lieu à toutes les forces progressistes et révolutionnaires de par le monde.

     L'Etat d'Israël ne constitue pas un «fait accompli». Sinon il aurait fallu considérer comme fait accompli indéracinable toute la colonisation ou la semi-colonisation de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique Latine, la présence française en Algérie pendant 130 ans, l'établissement du pouvoir raciste blanc en Afrique du Sud et en Rhodésie, etc...

     L'argument du «fait accompli» ne peut pas en être un aux yeux de mouvements révolutionnaires et progressistes.

     L'Etat nazi allemand, en son temps, pouvait aussi apparaître comme un fait accompli. Il fut pourtant abattu grâce à la lutte conjuguée des peuples, et sa chute ouvrit une nouvelle page de progrès pour toute l'humanité.

     Ceux qui prétendent, par ailleurs, déployer des efforts sincères pour sauvegarder la Paix mondiale menacée par les agressions répétées d'Israël, devraient comprendre que c'est l'existence, l'essence même de l'Etat d'Israël - comme en son temps l'essence de l'Etat nazi allemand - qui constitue une menace permanente dirigée contre la paix et la sécurité des peuples arabes, et par conséquent contre la sécurité de tous les peuples.

     Il ne saurait y avoir de Paix mondiale véritable tant que subsiste l'oppression des peuples.

     Il ne saurait y avoir de coexistence pacifique entre opprimés et oppresseurs, entre exploités et exploiteurs.

     Là où il y a oppression et exploitation, il y a nécessairement lutte, dans des formes appropriées, celles qui paraissent les plus efficaces, pour mettre fin à l'oppression et l'exploitation. C'est une loi qui s'est constamment vérifiée à travers l'Histoire, et qui se vérifiera encore pendant longtemps, tant que subsiste le système d'oppression et d'exploitation des peuples.

     Le programme de la Révolution Palestinienne qui se fixe comme objectif la libération de la Palestine de l'occupation sioniste actuellement baptisée «Etat d'Israël», et l'instauration d'un Etat palestinien démocratique où tous les citoyens, quelle que soit leur confession, jouiront de droits égaux, constitue une plate-forme juste, qui doit être soutenue par toutes les forces progressistes et révolutionnaires dans le monde.
 

Un moment capital de l'évolution du monde arabe

     Dans la marche en avant des peuples arabes à l'époque contemporaine, la Révolution Palestinienne constitue un facteur capital de clarification politique et idéologique.

     Toutes les forces sociales et politiques dans les pays arabes sont nécessairement appelées à se définir par rapport à la lutte du peuple palestinien.

     Les masses populaires, la jeunesse, les intellectuels patriotes et progressistes, appuient cette lutte à fond, parce qu'elle leur apparaît comme un moment historique décisif de l'achèvement de la libération de la grande Nation Arabe du joug étranger, et aussi comme une étape décisive vers la liquidation de l'emprise impérialiste qui continue de peser sur l'exploitation des richesses de nombreux pays arabes. Lutte contre l'occupation étrangère et lutte contre l'impérialisme et la réaction sont appelées à se fondre en un mouvement unique pouvant déboucher sur la révolution sociale, ou son approfondissement dans les pays arabes où elle a été entamée, c'est-à-dire la réalisation de transformations socio-économiques et politiques structurelles dans le sens du transfert du pouvoir économique et politique au peuple.

     Les forces de la bourgeoisie nationaliste et de la petite-bourgeoisie dans les pays arabes soutiennent également, jusqu'à un certain point, la lutte palestinienne, par nationalisme, ou pour des motifs religieux, et avec l'espoir de pouvoir contrôler ou influencer le contenu social et idéologique de la Révolution Palestinienne. Mais en même temps, la bourgeoisie nationaliste arabe continue de vouloir «brouiller les cartes», dans la confrontation avec l'impérialisme, en cherchant à masquer les responsabilités de celui-ci, en exploitant les sentiments religieux des masses au lieu de leur offrir une analyse lucide de la situation, permettant de les mobiliser sérieusement dans la lutte anti-impérialiste. Il entre beaucoup de démagogie dans certaines prises de position non suivies d'effets pratiques. Mais avec le développement et l'approfondissement de la lutte, ces forces seront obligées de se définir plus clairement vis-à-vis de la Révolution Palestinienne et de ses implications sur le plan de la lutte anti-impérialiste dans les différents pays arabes.

     La petite-bourgeoisie, qui se veut progressiste, soutient la lutte palestinienne, dénonce les responsabilités de l'impérialisme et de la réaction arabe, accepte certaines réformes des structures socio-économiques et revendique la réalisation de l'indépendance économique visà-vis de l'impérialisme, mais en même temps elle n'arrive pas à surmonter ses contradictions idéologiques et l'ambiguïté de ses rapports avec les masses populaires, ce qui empêche celles-ci de jouer pleinement leur rôle dans la bataille.

     Quant aux couches sociales arabes encore liées à l'impérialisme, leur appui verbal à la cause palestinienne est acquis, parce qu'elles ne peuvent faire autrement face à leurs peuples qui considèrent cette cause comme sacrée. Mais d'un autre côté, comme l'ont montré les éléments du Liban notamment, ces couches sont capables de se dresser contre la Révolution Palestinienne lorsque leurs intérêts apparaîtront menacés par le dévelopement de celle-ci.

     Une telle attitude de la part de ces couches ne fera que renforcer dialectiquement la volonté de libération et d'émancipation sociale des masses populaires arabes, en leur ouvrant davantage les yeux sur le rôle de ces forces qui font objectivement le jeu des ennemis de tous les Arabes: les sionistes alliés à l'impérialisme.

     On peut donc affirmer sans exagération que le facteur palestinien est en train de jouer un rôle clarificateur extrêmement important pour tous les peuples arabes.

     Pour ce faire, il doit être intégré réellement dans la lutte quotidienne, dans les préoccupations propres de chaque peuple arabe, en liaison avec les problèmes qui sont à résoudre dans chaque pays arabe.

     Nous devons rendre aux combattants palestiniens, nos frères, l'hommage qu'ils méritent, non seulement pour les services qu'ils rendent aux peuples arabes, en arrosant de leur sang généreux et pur la terre bien-aimée de Palestine, mais aussi pour les services qu'ils rendent à toute l'humanité, en assumant un rôle d'avant-garde dans la lutte anti-impérialiste, à l'image de l'héroïque peuple vietnamien.
 

Au nom des principes et idéaux du Mouvement Révolutionnaire Mondial

     Les pays socialistes, le mouvement ouvrier international, les forces progressistes dans le monde se déclarent solidaires. de la lutte des peuples arabes contre l'impérialisme et l'agression sioniste. Une aide importante est fournie par les pays socialistes aux pays arabes, spécialement l'Egypte et la Syrie.

     Tout cela est à l'honneur du mouvement révolutionnaire mondial.

     Mais il faut dire aussi que certaines incompréhensions concernant le fond de la question palestinienne ne sont pas encore surmontées.

     Une très importante fraction du mouvement ouvrier international continue de penser que la reconnaissance des «droits nationaux du peuple palestinien» n'est pas incompatible avec l'existence de l'Etat d'Israël.

     Les positions des forces marocaines d'avant-garde sur la question palestinienne sont bien connues: soutien total à la lutte armée du peuple palestinien en vue de libérer sa patrie, et appui sans réserve du programme politique de la Résistance Palestinienne.

     Cette position ne comporte aucune «surenchère nationaliste»; elle est pleinement conforme aux principes dont se réclament les diverses forces qui composent le mouvement révolutionnaire mondial.

     Du point de vue des principes du socialisme scientifique, il ne saurait y avoir de «nation juive», la religion ne pouvant à elle seule constituer le ciment d'une nation. D'un autre côté, la spoliation du territoire palestinien par la colonisation sioniste, avec l'appui impérialiste, est un fait indéniable et inacceptable.

     Enfin, l'idéologie sioniste, avec ses fondements racistes et chauvins, est une variante de l'idéologie nazie, qui causa tant de malheurs à l'humanité. L'Etat d'Israël, produit du mariage entre le sionisme et l'impérialisme, constitue la négation totale des droits nationaux du peuple de Palestine. Lui reconnaître une quelconque légitimité, et en même temps soutenir les droits nationaux du peuple de Palestine, c'est s'enfermer dans une contradiction insurmontable.

     Or le programme politique de la Résistance palestinienne offre la seule alternative valable: celle d'un Etat palestinien démocratique, non raciste, qui traitera ses citoyens sur un pied d'égalité, indépendamment de leur confession, ce qui ne sera possible qu'avec la liquidation des structures racistes de l'Etat d'Israël et l'élimination du sionisme en tant que force militaire, économique, politique et idéologique incrustée en terre de Palestine. D'après ce programme, les juifs désionisés qui voudraient vivre dans un tel Etat, y auront leur place, aux côtés des Palestiniens de confession musulmane et chrétienne.

     Il s'avère essentiel de surmonter toute incompréhension et toute contradiction sur le fond de la question palestinienne, de la part du mouvement révolutionnaire mondial.

     Car les forces qui composent ce mouvement constituent des alliés objectifs de la Révolution Palestinienne. La lutte que mène celle-ci s'intègre parfaitement dans la stratégie générale des mouvements révolutionnaires et progressistes tendant à l'élimination de l'impérialisme et de la réaction dans le monde, et en définitive à la création des conditions de l'émancipation totale des peuples opprimés.
 
 
 

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