souffles
numéro spécial 15, 3e trimestre 1969

etel adnan : jébu (extraits)
pp. 20-23


...
villes mortes du XXIe siècle
Beyrouth et Tel Aviv!

ces jours-ci il faut apprendre à
compter si l'on vent survivre
compter les tortures de Sarafand

dans les coupures géologiques de
l'Asie occidentale des vautours
remercient le ciel de l'abondance
de leur nourriture: plus d'Arabes
morts que de cailloux dans ce désert!
nous avons fait l'apprentissage de la
douleur a Alger    vécu an moment heureux
et il nous faut recommencer.

Bruits...

Nous allons atomiser les montagnes pour
qu'il n'y ait plus de Révélations
la Vérité sortira d'un puits

Jébu commande aux spectres qui le poursuivent
de se dissoudre dans la paraffine des
pharmacies de quartier
le vent se lève...

Assis dans des cinémas humides
nous avons vu des Christ de poubelle
bénir des écrans électriques
nous avons aimé...
Il nous faut maintenant crucifier
le Crucifié
sa trahison millénaire nous écoeure
O soleil du Passé

Ra    Shamash    Marduk
les astronautes ont envahi la lune
pour que dans la grandeur de ton
veuvage
tu retiennes seul dans tes vaisseaux
ô monothéisme géométrique que Jébu annonce

la faim
la honte
la soif
la peur
la maladie
la solitude
la folie
cargaisons de vaisseaux solaires
dans la zone franche de Beyrouth
nos navires sont des automobiles blindées
que nos hommes conduisent sur les
pistes du ciel le ciel est un océan où
ils se noient    le malheur est une trompette
de Jazz qui hurle sur la Place des Canons

Sur le chemin du retour (la trajectoire
LUNE-Terre) dans le chemin de fer cosmique
Jébu dit:

J'ai vu la terre boule magnétique
brûler ses contours    oeuvre radioactive    originelle
solaire    dans un langage atomique
électrique
magnétique

elle dit:
Je suis vaisseau cosmique
et mes frères de sang (le bédouin primordial)
sur les autels mercuriels où ils sont égorgés
vont renaître    car ils sont mon unique vérité.
Jébu chananéen et fondateur de Jérusalem
dit au Crucifié:

tu as souffert trois jours
j'ai souffert pour trois millénaires
(le fedayi est une écriture gluant au sol
et poussant de l'avant avec sa salive de blessé
cicatrisant une terre béante et dans son
agonie il voit une pluie de météores

dans la mort il oublie qu'ils ont séché les
citernes pour que nous mangions des vers et
considérions le bonheur comme une oraison funèbre
                          ...mais nous avons déplacé le ciel
ils ne savent pas que le vent
est un oiseau qui nage)

obscurément l'honneur de nos enfants
s'engloutissait dans nos fleuves tranquilles
c'est au fond d'un marécage que j'ai rencontré
mon peuple et j'ai sonné la libération

maintenant je vous annonce:

le napalm
la faim
la ruse de l'ennemi
les avions au vol bas    la dynamite de nuit
la torture
et plus de morts que de larves dans un étang
pourri
nous sommes coupables d'innocence
j'annonce aussi:
la marche-en-retour des morts
les fusils portés par des fantômes
les plantes qui ne poussent qu'en hiver
un char fait de mélasse qui va percer le front
et les soldats de l'an deux mille
le désordre créateur
est notre entêtement divin.
Jébu a des millions de racines    des têtes innombrables
une prolifération de corps    il est l'ensemble et chacun
de nous depuis la gerçure initiale du temps    Jébu est
le PEUPLE dans l'Espace-Temps.
Il lui sera donné de naître    de grandir    de mourir
il lui sera donné de manger    d'être nu    de nager
il lui sera donné de prendre d'assaut le
cinquième océan    d'investir Vénus de son souffle
de peupler Uranus
Les gens vont sortir de leurs gouttières de rats car
le monde est immense. Qu'un seul pain nourrisse la
tribu. Le père dira à son fils: tu es mon frère...

J'ai vu les villages de ma génération aux noms de femmes:
Samua    Kuneitra    Kalkilya
avorter des enfants morts:

O rapaces aux yeux étrangers buveurs de bitume
vous n'avez en abondance que la haine et sur
les pistes où les serpents ne trouvent pas à
manger vous avez forcé les femmes de Jéricho
à mastiquer des diamants    les Arabes ne sont
donc qu'un mirage qui dure!
Au début du monde Jébu fut mis à mort
mais ses yeux sont le Tigre et l'Euphrate s
on ventre est la Syrie    son arête sexuelle est le
Jourdain    sa longue jambe est la vallée du Nil
un pied à Marrakech
le coeur saignant enchâssé à la Mecque
ses cheveux poussent encore sur le Sannine
La radiographie de son être le jour d'Hiroshima
comme une sueur apparut sur le Mur de Jérusalem

Je sais
la lune totale
la tristesse au ralenti
des arcs-en-ciel empoisonnés
les visages trahis remplissant les
écrans des nouvelles    tournés vers
un ciel de vautours comme s'il y avait
encore d'autre messie à attendre que le
bombardier
l'exil total.

Je sais
les cercueils marchant vers la mosquée
dans une ville où les roses sont arrosées
de gaz
les capitales étrangères qui sont des
abeilles mourantes sécrétant leurs mensonges
et la lune totale
refermant ses griffes sur la tribu

La chaleur torride du premier roi de
Jérusalem - astronaute revenu de la lune qu'il
habita solitaire abandonnant aux murs des cratères
des écritures fermées - est encore collée au
visage de la neige cosmique

buveurs d'urine buveurs de sang buveurs
de pétrole parvenus du napalm nouveaux
riches de la torture Gilgamesh va planter
son épée entre vos yeux
La Cité vêtue de vent    de larmes    de rayons ultra-violets
tremble...

La Palestine    mère des nations    est une pestilence
glorifiée avec des tumeurs solaires sur le visage
et des viols répétés dans le ventre
 


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