souffles
numéro spécial 15, 3e trimestre 1969

Documents (II)
interview avec saleh raafat membre du bureau politique du front populaire démocratique pour la libération de la palestine
pp. 113-117

 

     Question. - Depuis la guerre de juin 67, s'est posé ce qu'on appelle «la solution politique» du problème palestinien et, après l'adoption par le Conseil de Sécurité de la résolution du 22 novembre 67, la mission du docteur Jarring s'est soldée par un échec. A présent, les «quatre grands» se réunissent pour tenter de trouver une solution politique et pacifique au Moyen-Orient. Quelles sont alors les répercussions de ces tentatives sur la lutte armée du peuple palestinien?

     Réponse. - Malgré les estimations de certains diplomates occidentaux selon lesquelles les entretiens des quatre grands, commencés le 3 avril, dureront plusieurs mois, nous notons que les quatre grands s'accordent pour dire que la situation au Moyen-Orient est explosive. Certains responsables américains veulent que les entretiens aboutissent rapidement à l'adoption de ce qu'on appelle la solution pacifique et craignent que les résistants ne reprennent l'initiative au cas où ces entretiens se prolongent. Ceci dévoile la réalité des intentions des forces contre-révolutionnaires opposées à la lutte armée.

     Il existe plusieurs forces nationales et internationales qui influent incontestablement sur notre problème. L'impérialisme mondial, dirigé par les cercles gouvernementaux américains, veut préserver ses intérêts - en particulier ses ressources pétrolières -. Il lui importe d'empêcher l'extension de l'élan révolutionnaire de la région palestinienne à l'ensemble des territoires arabes, afin de protéger ses monopoles qui exploitent les peuples arabes. Il lui importe aussi de réduire l'expansion de l'influence soviétique ou de toute autre tendance anti-impérialiste.

     Les milieux gouvernementaux américains proposent une solution du problème palestinien consistant à:

     Ces mêmes milieux veulent que ce plan soit discuté en totalité et non par points. Ce plan américain signifie la modification de la situation actuelle pour assurer la mainmise sioniste sur la Palestine et, par la même occasion, maintenir les régimes arabes actuels et liquider tout mouvement révolutionnaire dans les régions où ce dernier menacerait les intérêts américains ou imposerait le droit à l'autodétermination et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

     De plus, ce plan américain a reçu l'approbation de la Grande-Bretagne. Le délégué britannique, Lord Caradon, suggéra, à la première réunion des quatre, la création d'un Etat palestinien dans la rive occidentale séparée de la Jordanie et d'Israël. Quant au gouvernement français - selon M. Debré - il est pour l'exécution de la résolution du 22 novembre 1967.

     Tout comme le bloc impérialiste qui agit pour le compte d'Israël, les milieux sionistes veulent cueillir les fruits de la guerre. Israël parle d'une paix durable qui lui assurerait non seulement la souveraineté sioniste sur la Palestine, mais aussi l'ouverture des marchés arabes. Ainsi, nous avons entendu le ministre israélien de l'information dire que rien d'intéressant ne peut sortir des entretiens des quatre, qu'Israël s'oppose à cette concertation avec force et qu'il saura montrer comment il peut rejeter tout règlement qui nuit à ses intérêts. Cette position israélienne est importante vis-à-vis du réveil des peuples arabes.

     En effet, nos peuples arabes pouvaient encore nourrir l'espoir d'une solution pacifique, juste et équitable, issue des concertations des quatre, sous l'effet de la démagogie et de l'intoxication.

     Or, il s'avère que ce qui se déroule dans la réunion des quatre est plus dangereux que la résolution du Conseil de Sécurité. En particulier les quatre ont déclaré à la première réunion que la solution imposée par les quatre grands sera injuste.

     Aussi, faut-il que nos peuples arabes ne remettent pas en cause leurs convictions, car cette réunion des quatre n'est qu'une nouvelle manifestation du complot impérialiste pour la domination des peuples arabes; et il faut aussi que nos peuples ne contestent pas la poursuite de la lutte armée révolutionnaire et ne contestent pas la dénonciation de tous les complots visant à la saboter et à mettre fin à son action révolutionnaire dans cette région.

     L'U.R.S.S. propose un calendrier pour la mise en exécution de la résolution du 22 novembre 1967. Donc, sa position se borne uniquement à cette résolution et favorise, en fait, la liquidation du mouvement révolutionnaire palestinien.

     La R.A.U. approuve la réunion sur la base de la mise en exécution de la résolution du Conseil de Sécurité, après qu'elle ait renoncé à l'évacuation, en premier lieu, des territoires occupés lors de juin 1967, sachant pourtant que cette résolution nuit aux intérêts palestiniens et ne reconnaît pas le droit aux organisations palestiniennes de la refuser. Cette approbation de la conférence à quatre vise, elle aussi, la liquidation du mouvement révolutionnaire palestinien.

     La position de la Jordanie est connue par Mohamed Al Fara: «Nous aiderons certainement les quatre grands et nous souhaitons du succès à la conférence». D'autre part, le régime jordanien a proposé un plan en six points qui s'accorde avec le plan américain.

     Nous voyons donc que la conférence à quatre constitue une des nouvelles tentatives pour liquider le problème palestinien. Sa conséquence fondamentale, quant à la lutte armée palestinienne, se manifeste par les tentatives visant à mettre fin à la lutte et à couper les aides afin de liquider les organisations de résistance par l'entremise des forces contre-révolutionnaires.

     Question. - Prévoyez-vous une forme déterminée des tentatives des forces contre-révolutionnaires pour liquider la résistance et, par là même, le problème palestinien?

     Réponse. - La lutte armée traverse une période dangereuse et il est possible aux forces contre-révolutionnaires de tenter de la liquider par un des deux moyens suivants:

     Pour la question du F.P.D.L.P., nous faisons tout pour développer la résistance arabe dans la rive occidentale et nous comptons d'autre part sur des bases mobiles pour nos commandos révolutionnaires. Nous commençons à abandonner les bases dans les vallées de Beisan pour en faire uniquement des relais d'approvisionnement de la rive occidentale, et ceci afin de ne donner aucune occasion à l'ennemi.

     D'autre part, les cellules du F.P.D.L.P. mènent des campagnes d'information dans les camps, les villes et les campagnes; elles y trouvent l'aide des paysans et des réfugiés et la détermination à participer à notre lutte et à affronter l'ennemi quels que soient les sacrifices.

     Mais le champ d'action de notre peuple est encore limité, car il manque d'organisation et d'armement. Prenons un exemple: lorsque l'ennemi a frappé les civils dans Salt, Kafr Asad, durant les dernières semaines, le bilan a été sévère en vies humaines. Le peuple a besoin d'armes pour se défendre et a besoin d'être organisé sous l'égide d'un front national constitué de toutes les forces opposées à l'impérialisme, au sionisme et à la réaction.

     Question. - Le F.P.D.L.P. lutte pour la création d'un front national révolutionnaire. La participation du F.P.D.L.P. à la direction de la lutte armée est-elle considérée comme dans le cas du FN.L.?

     Réponse. - Non, la direction de la lutte armée groupe quatre organisations de résistance: El Fath, Assaïka, Front de libération et le F.P.D.L.P., sur la base de la coordination des actions militaires, mais chaque organisation a son idéologie et sa politique.

     La participation à la direction de la lutte armée donne une grande occasion aux organisations de résistance de discuter de la coordination, d'engager un dialogue positif, d'oeuvrer pour élever le niveau combatif et protéger la lutte des dangers qui l'entourent; mais il faut que nous constituions un front national groupant toutes les forces politiques et sociales opposées à l'impérialisme, au sionisme et à la réaction, et qui luttent pour l'éveil de la conscience politique des peuples, pour élever les capacités de la résistance révolutionnaire, politique et militaire, car la lutte politique, la lutte militaire vont de pair et ne peuvent être dissociées.

     Question. - Quelles sont les perspectives arabes et internationales devant la lutte armée du F.P.D.L.P. ?

     Réponse. - La libération de la Palestine est un des problèmes fondamentaux de la révolution.

     Le conflit licite jordano-palestinien est dérisoire devant les contradictions préexistantes dans la région.

     En face du bloc de la contre-révolution, représenté par l'impérialisme, le sionisme et la bourgeoisie réactionnaire, se dresse le bloc révolutionnaire des ouvriers, des paysans et de la petite bourgeoisie. En face de l'idéologie bourgeoise du bloc contre-révolutionnaire, il y a l'idéologie de la classe ouvrière qui sert la révolution.

     De ce fait, la lutte armée palestinienne représente l'avant-garde de l'action révolutionnaire dans cette région. La victoire de la résistance armée est impossible s'il n'y a pas un front révolutionnaire arabe dirigé par l'union des ouvriers, des paysans et guidé par l'idéologie de la classe ouvrière.

     D'autre part, la condition fondamentale de la victoire du peuple palestinien est qu'il doit porter la lutte révolutionnaire à l'échelle internationale, sous l'égide du prolétariat international et dans le contexte général de la lutte contre l'impérialisme, le sionisme et la réaction.

     Mais jusqu'à présent, nous trouvons que la politique de coexistence pacifique oeuvre pour l'isolement des mouvements de libération nationale dans le monde du camp révolutionnaire.

     La cause de la révolution est unique, que ce soit à Cuba, au Viet-Nam ou en Palestine. Il faut que les forces révolutionnaires dans le monde entretiennent des relations étroites et fructueuses afin d'assurer la victoire de la révolution et de réaliser le socialisme.

     Question. - Quelles sont les causes de l'éclatement du F.P.L.P. et la création du F.P.D.L.P.?

     Réponse. - Les divergences au sein du F.P.L.P. datent du début de 1960, date à laquelle les sections de l'ex-«Mouvement des nationalistes arabes» connurent deux tendances:

     Après la guerre de juin 67 et la naissance du F.P.L.P., l'aile droite, dominant le Front, travailla à le diriger selon ses objectifs. Elle mit en veilleuse toutes les réalités palestiniennes et arabes qui ont conduit à la défaite du 5 juin, sous la consigne de «non ingérence dans les affaires arabes»; elle prit aussi une ligne contradictoire sur la question de l'unité nationale palestinienne en ceci qu'elle trahit les combattants issus de la classe ouvrière pauvre au profit des capitalistes et de la grande bourgeoisie comme: Hamad Al Farhan, Jaafar Chami, Bachir El Bostani, Ahmed Laaroun et aussi Ali Monko.

     Puis elle affermit la politique de force des groupes féodaux et des cliques de la petite bourgeoisie.

     Depuis le début, l'aile progressiste du Front lutta pour informer les masses des causes de la défaite due aux classes féodales dirigeantes et à la petite bourgeoisie, dont le programme a été mis en échec le 5 juin et qui ne peut guider à cause de sa politique «petite bourgeoise» la révolution arabe.

     Elle lutta aussi pour la remise en question du slogan «non ingérence dans les affaires des pays arabes» et le mettre dans son vrai cadre.

     Elle lutta pour que la droite palestinienne ne participe pas à la résistance.

     Elle s'employa aussi à créer un large front national groupant toutes les forces politiques et les résistants sous la direction des organisations combattantes, front qui adopterait une politique rationnelle à l'encontre de toutes les forces qui attenteraient à notre cause, qu'elles soient palestiniennes, arabes ou internationales.

     L'aile progressiste voulut transformer le combattant en un homme politique révolutionnaire, changer les structures du Front en des sections populaires qui protégeraient les actions militaires et qui affronteraient les tentatives d'invasion sionistes dans la rive orientale.

     Depuis le congrès d'avril 1968, l'aile droite remit en cause ces objectifs et entreprit une politique de vengeance qui se traduisit, le 15 juillet 1968, par l'arrestation des cadres progressistes du Front.

     Malgré cela, l'aile progressiste resta disciplinée jusqu'au congrès du mois d'août 1968.

     A ce congrès, la gauche présenta un ordre du jour complet, et ses travaux furent clôturés par l'adoption à une majorité écrasante du programme théorique prolétarien et de tous les textes présentés par la gauche.

     Devant son échec, la droite pratiqua au cours du congrès une politique démagogique en s'inclinant devant les programmes de la gauche, oralement, et en les refusant dans la pratique quotidienne.

     Les résultats du congrès se résument en ces points:

1 - approbation totale de l'idéologie de la classe ouvrière;

2 - établissement de relations conformes au centralisme démocratique entre les militants et la masse;

3 - extension de la lutte politique et armée sur la rive occidentale et abandon des bases de la vallée de Beisan pour ne les considérer que comme des centres d'approvisionnement en armes;

4 - extension de la résistance à toute la rive orientale afin de faire échouer toute tentative d'invasion sioniste et mettre en pratique la guerre de libération populaire;

5 - oeuvrer à la création d'un large front national groupant toutes les forces politiques et sociales opposées à l'impérialisme, au sionisme et à la réaction, sous la direction des organisations combattantes progressistes;

6 - mettre notre lutte contre le sionisme dans son vrai cadre: une lutte contre l'impérialisme, le sion-.sme, la bourgeoisie et la féodalité, bref contre Israël et ceux qui la soutiennent.

     A la fin du congrès, un comité à majorité de gauche fut élu. La droite réagit en imposant une commission de conciliation dominée par elle.

     Depuis ce congrès et jusqu'à la création du F.P.D.L.P., la gauche essaya d'appliquer le programme révolutionnaire qu'elle avait présenté. Mais la droite, sous la direction des réactionnaires appartenant au «mouvement des nationalistes arabes», lutta contre ce programme révolutionnaire, en commençant par refuser l'élection du comité central, la publication du communiqué du Front et l'élimination des groupes d'influence. Elle tenta de liquider l'aile progressiste depuis le début de décembre 1968, ce qui se traduisit par des arrestations dans les rangs progressistes au cours des mois de décembre et janvier, la suppression de l'approvisionnement des bases des combattants progressistes. Elle suscita la vague de terrorisme qui commença le 28 janvier 1968 et qui conduisit à des massacres, comme celui du 4 décembre 1968, en provoquant des affrontements armés à Amman, ce qui entraîna la mort de plusieurs camarades, comme Mandar Abdellatif El Kadiri, tombé sous les balles de la droite fasciste.

     Après toutes ces péripéties, il s'avéra illusoire et faux de vouloir coexister avec la droite du Front, dirigée par la droite de l'ex-«mouvement des nationalistes arabes».

     La gauche fut obligée d'agir, selon son programme, indépendamment de la droite. Les expériences antérieures montrent qu'on ne peut changer une organisation bourgeoise de droite en organisation révolutionnaire de gauche. Elles montrent aussi que la petite bourgeoisie, autant il lui est facile d'adopter des slogans et des positions révolutionnaires théoriques, autant elle peut les vider de leur sens et de leur contenu.

     Le 21 février 1969, le F.P.D.L.P. publia un communiqué établissant la nature des rapports antérieurs avec la droite du F.P.L.P. et déclarant le F.P.D.L.P. dégagé de toute responsabilité de l'expérience passée.
 
 

(interview accordée au journal «El Hourriya », Traduction inédite de l'arabe. C.P.A.P.)

Tirée de Document C.P.A.P. nº 5: Connaître la résistance palestinienne par ses textes. Tome I. Mai 1969.


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