EDITORIAL
les aboutissements
du plan rogers

pp. 6-8


     Rarement sans doute aura-t-il été plus amer d'avoir eu raison.

     En ce mois d'août 1970 où l'ensemble des forces politiques de la bourgeoisie élaborait de savants raisonnements pour justifier l'acceptation du plan Rogers, nous étions seuls de la presse marocaine à écrire ces lignes :

     « La cause révolutionnaire des peuples ne s'est jamais développée de façon rectiligne. Ce n'est qu'après de multiples revers et échecs que les peuples révolutionnaires ont été à même de découvrir la vérité révolutionnaire et la voie correcte vers la victoire finale.

     ... Aujourd'hui une nouvelle épreuve est imposée au peuple palestinien : la capitulation de l'Egypte, de la Jordanie, de la Libye et du Soudan devant les sommations soviéto-américaines, capitulation qui revêt la forme d'un plan de « Paix » — le plan Rogers — dont l'objectif évident est de liquider la résistance palestinienne et d'étouffer le mouvement de libération arabe dans cette région du monde. »

     Les porte-parole de la bourgeoisie avaient certes la caution des soi-disant détenteurs de la science historique. Ainsi, par exemple, à la même époque M. Ali Yata écrivait :

     Comme on ne peut que se féliciter de voir le peuple palestinien aspirer profondément à recouvrer ses territoires nationaux et à retourner dans son pays, on ne peut également que se réjouir de constater la volonté du peuple égyptien de libérer ses territoires occupés et d'exercer sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire national.

     La lutte que mène le peuple palestinien sert éminemment la cause du peuple égyptien et la lutte du peuple égyptien avantage au plus haut point la cause de libération nationale du peuple palestinien, tout progrès réalisé par l'un, dans son propre domaine et pour ses propres objectifs, profitant immanquablement à l'autre.

     Certes, la R.A.U. a été battue militairement, en juin 1967, pour des raisons que l'on sait. Mais son mérite historique est de ne s'être pas agenouillée devant l'ennemi. Tout en tirant les leçons de sa défaite militaire, elle a pris la farouche résolution de poursuivre le combat, et elle l'a poursuivi, sans discontinuer, supportant l'essentiel du poids de la lutte générale contre l'Etat sioniste et ses maîtres impérialistes, et portant les coups les plus terribles à sa machine de guerre.

     Peut-on, dans ces conditions, reprocher aux dirigeants de la R.A.U. de renforcer l'effort militaire, réel et coûteux, par le recours aux moyens diplomatiques ? Honnêtement, non. Surtout que l'on sait pertinemment qu'elle maintient son orientation nationale anti-impérialiste, développe l'aide à la Résistance Palestinienne, soutient de toutes ses forces la cause de libération de tous les peuples arabes. »

     Honnêtement ? Les bombardements et le napalm sur amman, sur Wahdat, sur Irbid, les milliers de morts palestiniens, le silence, pendant cinq jours, de Nasser, de Khaddafi, de Numeiry, la démarche de l'U.R.S.S. pour empêcher l'intervention syrienne, le pont aérien américain pour remplacer les chars détruits par la Résistance palestinienne. Honnêteté .... ou complot, complot concerté et prémédité ?

     Le sang de Amman et de Wahdat ne s'effacera pas de la mémoire du peuple arabe. Les menteurs, les fourbes, les politiciens à courte vue, au moment décisif, ont fait le jeu des assassins.

     Aujourd'hui, l'impérialisme et le sionisme triomphent. Le foyer ardent de la Révolution palestinienne est maîtrisé : les pâles successeurs de Nasser préparent, dans un grand concert de bluff, la capitulation ; les forces réactionnaires arabes, féodales et bourgeoises, n'exercent leurs griffes que sur les patriotes.

     Ils triomphent. Mais !es peuples ? Les peuples apprennent : « Ce n'est qu'après de multiples revers et échecs que les peuples révolutionnaires ont été à même de découvrir la vérite révolutionnaire et la voie correcte vers la victoire finale ».

     Nous n'avons pas ici à tirer les leçons pour la Révolution palestinienne. Celle-ci, ayant émergé de vingt années de souffrances du peuple palestinien, s'est enracinée dans les masses du peuple depuis la faillite des bourgeoisies arabes en juin 1967. Dans ces trois années jusqu'aux combats de septembre 1970, le peuple a forgé la conscience, l'organisation, la formation au combat, qui lui ont permis de faire face aux chars et au napalm.

     Ces acquis sont désormais irréversibles. Ils sont à ce jour l'acquis principal de la Révolution Arabe.

     En revanche, notre devoir est de nous interroger sur les raisons de l'inaction des masses arabes face à ces massacres. Est-ce à dire que celles-ci étaient devenues indifférentes à la Révolution palestinienne et à la cause de la libération de la Palestine ? Chacun sait que non. Mais alors, pourquoi cette inaction ?

     Elle est due, à notre avis, à l'emprise encore importante de l'idéologie bourgeoise sur les masses arabes, à l'absence d'organisations révolutionnaires en mesure de mobiliser ces masses.

     Depuis un an cependant, la vague réactionnaire qui submerge le monde arabe crée les conditions qui permettront de démasquer et de déraciner l'idéoiogie bourgeoise, et principalement sa forme la plus pernicieuse, qu'il nous faut bien appeler par son nom, le nassérisme.

     Idéologie, certes, de la renaissance arabe, elle contenait cependant son contraire dans la mesure où elle refusait de faire confiance aux masses, de s'appuyer sur ies masses pour combattre l'impérialisme et le sionisme.

     Idéologie de petits-bourgeois technocrates elle ne voyait que la guerre classique pour s'opposer au sionisme. Par là même, l'émergence, dans la faillite de juin 67, de la guerre révolutionnaire du peuple palestinien devenait objectivement un danger.

     Idéologie de petits bourgeois technocrates cautionnés par le thème révisionniste de la voie non-capitaliste de développement, elle ne voyait que la planification bureaucratique et l'importation d'usines complètes pour créer les conditions du développement économique. Aujourd'hui, le fellah égyptien voit sa vie inchangée, l'ouvrier de Hélouan subit la répression, comme déjà en 1953 celui de Kafr-el-Dawar, mais les technocrates grandis à l'ombre de la
tutelle soviétique se préparent à entrer plus franchement dans la sphère du capitalisme international. Pour les besoins de la cause, Khaddafi décrète que l'Europe occidentale n'est plus colonialiste,

     Idéologie du nationalisme bourgeois, le rejet de la lutte des classes la mène aux embrassades avec Fayçal, pendant que l'on exécute Abdelkhalek Mahjoub.

     Idéologie du nationalisme bourgeois, elle a contribué au grignotage de la Résistance palestinienne en Jordanie à l'ombre des accords du Caire, à l'ombre du mythe de la fraternité arabe entre oppresseurs et opprimés, entre dirigeants féodaux et bourgeois complices ou capitulards devant l'impérialisme et le sionisme, d'une part, et le peuple arabe d'autre part. Aujourd'hui encore, à Djeddah, s'efforce-t-elle de sauver ce qui reste du mythe.

     Comme à Gaza, comme au Dhofar, comme à Oman, comme en Erythrée, l'ensemble des masses arabes sauront, dans l'écroulement des idéologies bourgeoises qui les ont si longtemps trompées, trouver la voie juste de leur libération.

                                                                                                              SOUFFLES