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Les solutions stériles
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     Face à une question aussi complexe que la question palestinienne, se présente une multitude de solutions dont chacune exprime, en dernière analyse, une position de classe. La réaction arabe a présenté une solution verbale chauvine, consistant à « égorger les juifs et les jeter à la mer », ou, dans le meilleur des cas, à les expulser. La réaction vise, par cette « solution », à inculquer aux masses arabes une éducation chauvine et fanatique, afin de voiler son antagonisme avec ces masses, donc d'escamoter la lutte de classes. Pendant très longtemps, la réaction a exercé un chantage terroriste à l'égard des forces révolutionnaires arabes, en les accusant de porter atteinte à l'union nationale, et donc de servir l'ennemi sioniste. Ceci alors que la réaction constitue la meilleure garantie pour l'Etat d'Israël, du fait de son alliance avec l'impérialisme et de la conservation des structures rétrogrades traditionnelles de la société arabe dans l'affrontement contre la supériorité technologique israélienne. Et c'est cette alliance objective avec le sionisme que veut cacher la réaction derrière des phrases chauvines et délirantes. D'autre part, cette solution considère tout juif comme étant un sioniste, et c'est exactement cela que tente d'accréditer le sionisme ; ainsi, la réaction renforce davantage son alliance objective avec le sionisme. Cependant, cette solution néglige nécessairement la force de l'ennemi sioniste, et c'est pour cela que la réaction a été incapable de la maintenir au lendemain de la défaite de juin. Alors, avec la même logique chauvine, elle a commencé à exagérer indéfiniment la force de l'ennemi, en présentant les choses de la façon suivante : il existe un complot international sioniste, juif, pour dominer le monde ; Israël et son expansion ne sont que la première phase de ce vaste complot dont le capitalisme occidental est aussi la victime. La réaction veut, tout d'abord, défaite des responsabilités de la défaite; si l'ennemi, dit-elle, a « une telle puissance, au point de faire du puissant capitalisme une victime, la défaite de juin devient tout à fait compréhensible et justifiée devant un tel ennemi ! ». Elle veut ensuite innocenter l'impérialisme du « crime que constitue son soutien à Israël, et donc justifier son alliance avec lui : l'Occident est victime du complot sioniste mondial, il est innocent mais trompé ». A quelle solution aboutit cette logique ? à la solution « pacifiste » : « La solution ne consiste pas à lutter contre le sionisme et l'impérialisme, mais à renforcer l'alliance arabe avec l'Occident, en convaincant ce dernier qu'il est victime d'un complot ... alors, il cessera d'appuyer Israël » .

     Quant aux régimes petits-bourgeois, ils présentent une solution qui exprime leur crise historique. Ils considèrent la défaite comme étant une défaite militaire pure, et que la voie pour se débarrasser de ses séquelles consiste en une victoire que remporteront les armées régulières. Ils sont incapables de mener une lutte méthodique et unitaire contre l'impérialisme, car cela signifiera le sacrifice des privilèges récemment acquis par la minorité embourgeoisée qui dirige ces régimes. Ils ne peuvent, s'allier à l'impérialisme car celui-ci a des alliés plus sûrs et plus fidèles dans les régimes réactionnaires. Ils ne peuvent, dépasser les règles du jeu politique arabe telles qu'elles sont imposées par les régimes réactionnaires. Ils ne peuvent enfin que supprimer, de par leur antagonisme avec les masses populaires, le rôle de celles-ci, que ce soit dans la lutte palestinienne ou dans la lutte contre le sous-développement. Et tant que la victoire sur le sionisme nécessite l'abandon d'une victoire militaire régulière au profit de la guerre populaire et exige une lutte décisive contre l'impérialisme, l'abolition de la domination réactionnaire sur la scène politique arabe et la mobilisation des masses populaires, ces régimes ne trouvent devant eux, comme solution, que la résolution du Conseil de Sécurité du 22 novembre 1967, selon leur interprétation, c'est-à-dire le retour à la situation d'avant la guerre de juin. Mais, cette « solution » n'en est pas une en réalité, car i'Etat d'Israël, quelles que soient ses frontières, et même avec le retour des réfugiés, constituera toujours une violation du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même, et un poste avancé de l'impérialisme menaçant le mouvement de libération nationale arabe.

     Il y a aussi la solution adoptée par la « gauche » sioniste et la réaction palestinienne en Cisjordanie qui consiste à créer un Etat palestinien sur une partie de la Palestine coexistant avec I'Etat d'Israël, et le reconnaissant. Cette solution vise à escamoter la question palestinienne, à affaiblir la lutte actuelle, à créer un Etat marionnette entre les mains d'Israël permettant, en tant qu'ouverture économique, de soumettre le monde arabe à la domination économique d'Israël.

     Quant à la solution qui consiste à créer un Etat binational dans toute la Palestine — solution d'abord adoptée et actuellement abandonnée par le Matzpen — elle est erronée car, d'une part, elle établit une séparation arbitraire entre la Palestine et la région arabe (c'est-à-dire à « résoudre » la question au sein de la fragmentation actuelle, aboutissant à un compromis avec le sionisme), et d'autre part, cet Etat binational ne constitue pas une garantie contre le retour de l'oppression d'une partie par une autre. Et tant que cette « solution » se fera au sein de la réalité existante, c'est le côté israélien qui exercera cette oppression. Il y a, enfin, la solution préconisée par Ury Avnéry, qui consiste en une fédération entre l'Etat d'Israël et un Etat Palestinien. Cette solution réformiste et petite-bourgeoise ne vise pas à détruire le sionisme et Israël, mais seulement à en extirper quelques défauts ; elle néglige l'essence du problème, à savoir que l'existence d'Israël, en tant qu'Etat, et quelle que soit sa forme, constitue une négation du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même.
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La solution démocratique
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     Face à ces solutions stériles, il y a la solution démocratique au problème palestinien. Cette solution ne vient pas d'un désir subjectif ou intellectuel, mais d'une analyse de la réalité objective et des lois qui gouvernent les possibilités du développement de cette réalité, ainsi que d'une vision stratégique fondée sur cette analyse. Cette solution consiste à séparer les Juifs du sionisme et considère, conformément à la réalité, que l'antagonisme ne se situe pas entre les juifs et les arabes, mais entre le sionisme d'une part, et la nation arabe, dont le peuple palestinien fait partie, d'autre part. C'est pourquoi, la destruction du sionisme, et non celle des juifs, est la condition de cette solution. Mais, tant que le sionisme est le ciment de la société israélienne, la communauté israélienne restera une communauté oppressive : c'est pourquoi il faut détruire le sionisme et la colonisation sioniste en Palestine. Mais ce colonialisme est spécifique : il consiste en la domination juive sur la Palestine dans un Etat monoracial, et considère la Palestine comme la « Terre Promise » pour les juifs du monde entier. Ainsi, la destruction de la colonisation sioniste ne signifie pas seulement la destruction de l'Etat d'Israël avec toutes ses institutions (armée, administration, police, institutions politiques et économques sionistes), mais aussi l'abolition de la domination juive sur la Palestine (qui consiste à faire de la Palestine la terre de tous les juifs du monde), par l'abolition de la « loi du retour », qui considère que n'importe quel juif du monde a le droit de s'installer en Palestine. C'est seulement après l'abolition de l'Etat sioniste et de ses structures spécifiques qu'arabes et juifs pourront coexister en Palestine, avec une égalité absolue, loin de toute oppression nationale ou religieuse.

     La destruction de l'Etat sioniste ne suffit pas ; il faut, en même temps, établir les fondements qui garantissent le non-retour du sionisme. Ceci ne sera possible que si la Palestine future fait partie intégrante d'un Etat socialiste qui engloberait toute la région. En supposant que la Palestine puisse, après l'abolition du sionisme, constituer un Etat indépendant, cet Etat aura une majorité juive, et rien n'empêche alors qu'il se transforme en un nouvel Israël, plus étendu, avec une minorité arabe plus importante, où celle-ci serait de nouveau opprimée et où toutes les structures caractéristiques de l'actuel Etat d'Israël ressurgiraient.

     Mais, comme l'abolition du sionisme est conditionnée par le succès de la révolution arabe dans l'abolition de l'impérialisme, et donc de la fragmentation artificielle, il est naïf d'imaginer la future Palestine indépendamment de la région et séparée du processus révolutionnaire qui l'agite. De plus, le fait que l'Etat unitaire sera un Etat socialiste suffit à établir les fondements objectifs afin que la Palestine soit réellement démocratique, sans aucune trace d'oppression nationale. Seul le socialisme est capable de résoudre les problèmes de l'oppression nationale car il détruit le fondement matériel de toute oppression.

     Parler d'une démocratie laïque revient essentiellement à considérer l'antagonisme entre Israël et les arabes comme étant un antagonisme religieux, ce qui constitue une chute dans l'abîme de l'idéologie réactionnaire dominante et l'acceptation de l'une de ses hypothèses fondamentales erronées, sans compter que cela ne résoud en rien le problème. La démocratie libérale ne constitue pas une garantie pour résoudre le problème de l'oppression nationale, elle risque de remplacer une oppression par une autre, en l'occurence celle des israéliens par celle des arabes.

     La solution démocratique ne peut se réaliser qu'à travers une lutte révolutionnaire, et la destruction de l'Etat sioniste ne peut se faire spontanément, mais grâce à un processus révolutionnaire qui changerait fondamentalement le rapport des forces aux dépens de la supériorite israélienne. Cela n'est réalisable qu'à travers une guerre populaire de longue durée, où la lutte contre le sionisme accompagnerait la lutte contre l'impérialisme. Et là aussi apparaît la débilité de la réaction arabe qui s'oppose, à cor et à cri, à la solution démocratique, prétendant que celle-ci conduit au compromis avec le sionisme, en présentant ridiculement les choses : « Et si Israël acceptait la solution démocratique ? » demande-t-elle ! On voit que la réaction édifie sa position sur une hypothèse impossible. Car comment l'Etat d'Israël accepterait-il la solution démocratique alors qu'elle signifie sa disparition ? Aucun régime dans l'histoire n'a choisi de disparaître de son plein gré.
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                             L'alliance supranationale et la question
                                           de l'auto-détermination

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     La société israélienne s'est constituée à travers un processus de colonisation. Les différentes classes de cette société ont joué, dans le processus de colonisation, des rôles complémentaires. Une opposition antagonique est alors née entre l'émigration israélienne dans son ensemble et le peuple palestinien en tant que peuple. Aussi le sionisme a-t-il cherché, intentionnellement, à escamoter les antagonismes de classes au sein de la société israélienne pour préserver sa cohésion en tant que société colonisatrice. Il a créé la Histadrout à la fois comme syndicat, comme employeur et comme institution de sécurité sociale. Il a aussi créé les kibboutzim, à structure soi-disant socialiste à l'intérieur, alors qu'ils jouent un rôle capitaliste à l'extérieur. De même qu'il a attaché tous les partis israéliens sionistes, de « droite » ou de « gauche », à l'Agence juive. Sans aucun doute, la propagande chauvine arabe a présenté des services énormes au sionisme dans son entreprise pour réaliser une forte cohésion interne et escamoter |es antagonismes de classes.

     Mais le fait que les habitants d'Israël constituent une société globale signifie l'impossibilité d'escamoter éternellement les antagonismes de classes, car ceux-ci font fondamentalement partie de cette société, même s'ils ne s'expriment pas dans des conflits apparents. La possibilité de développer ces antagonismes revient à faire aboutir la société israélienne à la crise, c'est-à-dire à transformer le rapport de forces en faveur du mouvement de libération palestinien et arabe. Cela est aussi conditionné par la maturité politique de ce mouvement, de façon qu'il puisse s'adresser aux habitants d'Israël et leur faire comprendre que le sionisme n'a pas résolu la question juive et qu'il rencontre, à mi-chemin, l'antisémitisme, puisque l'ohjectif de chacun d'entre eux consiste à faire sortir les juifs des différents pays pour les envoyer en Israël, et enfin leur faire comprendre que leur libération revient précisément à abolir le sionisme. La solution démocratique, en tant que mot d'ordre stratégique, joue un rôle fondamental dans l'affaiblissement du front intérieur de l'ennemi. Cela signifie-t-il la possibilité d'une alliance supranationale entre les révolutionnaires arabes et israéliens ? La nature du sionisme fait qu'il est impossible d'allier la fidélité au sionisme à une position révolutionnaire. On ne peut considérer un israélien comme révolutionnaire que s'il devient ennemi actif du sionisme, ce qui nécessite la lutte de l'intérieur contre l'Etat israélien et la reconnaissance du droit du peuple palestinien à l'auto-détermination. C'est là le seul fondement objectif d'une alliance entre révolutionnaires israéliens et arabes.

     Certains milieux européens de gauche, particulièrement les trotskystes, affirment qu'il est du devoir des révolutionnaires arabes de reconnaître le droit à l'auto-détermination du peuple israélien. Cette position renferme une incompréhension de la question nationale en général et de la question palestinienne en particulier. Ces milieux se placent à une égale distance des deux parties en lutte pour les dénoncer toutes les deux et demander à chacune d'elles de reconnaître les « droits » de l'autre. Ils s'imaginent que cela pourrait résoudre le problème et oublient qu'il y a des oppresseurs et des opprimés, et que le devoir des révolutionnaires est d'appuyer les seconds contre les premiers.

     Le marxisme reconnaît en principe, le droit de tous les peuples à l'auto détermination, mais d'une façon négative. Il répond par oui ou par non à ce droit — qui signifie, pour le marxisme, droit à la séparation — selon des cas précis, en soumettant la question à l'intérêt général de la lutte des classes, à la révolution socialiste internationale. Il vise aussi à réaliser la paix entre les nations de façon à débarrasser la lutte des classes des entraves que crée, objectivement, tout antagonisme national. C'est pour cela que le marxisme considère qu'il est du devoir des révolutionnaires de la nation qui opprime de reconnaître le droit à l'auto-détermination pour la nation opprimée. Mais elle n'oblige pas les révolutionnaires de la nation opprimée à mentionner le droit à la séparation dans leur programme, si c'est dans l'intérêt du socialisme. Le marxisme voit aussi clairement que la résolution des questions nationales ne peut se faire qu'au détriment des privilèges de l'oppresseur.

     Israël est un Etat oppresseur, au sens où l'entendait Lénine quand il parlait de la nation russe comme étant une nation oppressive : l'existence d'Israël en tant qu'Etat constitue une annexion, toujours au sens de Lénine, car cette existence constitue une violation du droit du peuple palestinien à l'auto-détermination. Il est donc du devoir des révolutionnaires israéliens de reconnaître ce droit.

     Demander aux révolutionnaires arabes de reconnaître le droit à l'auto-détermination du peuple israélien revient à renverser les problèmes et à ignorer |a spécificité de la question palestinienne, du fait que la création, par les juifs, d'un Etat indépendant en Palestine (et le droit à l'auto-détermination signifie le droit à la séparation), viole le droit du peuple palestinien à l'auto-détermination.

     La solution démocratique à la question palestinienne est la seule solution. Toute autre solution revient à entériner le fait accompli. Elle place les progressistes israéliens devant leurs responsabilités dans le soutien à la lutte palestinienne et dans la lutte contre Israël de l'intérieur. Nous réaffirmons que la réalisation de cette solution exige un processus révolutionnaire et une lutte, celle de la guerre populaire de libération sous la direction d'une grande alliance entre les forces de lutte palestiniennes et les forces de la révolution arabe.