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                            érythrée
Le pays et les hommes

     A l'ouest le Soudan, à l'est la mer rouge, au sud-ouest l'Ethiopie, au sud le territoire des Afars et des Issas sous domination française. Surface : 80.000 km2


Population : 3.000.000 d'habitants.


Peuplement : des tribus venues d'Arabie, du Soudan ou des hauts plateaux éthiopiens et qui ont mêlé leurs cultures et traditions spécifiques. 80 % des Erythréens sont musulmans.


Langues parlées : le tigrina et l'arabe
Ce pays mène depuis 1961 une lutte de libération armée contre l'Ethiopie.


L'Erythrée n'a jamais fait partie de l'Ethiopie


     Bien avant le mandat anglais, le fascisme italien, l'hégémonie turque et lorsque l'Ethiopie n'était encore qu'un ensemble de royaumes, 1'Erythrée avait déjà des structures politiques basées sur le sultanat. C'est son importance stratégique que lui conférait en particulier le port de Massawa qui lui valut souvent de porter le joug des uns ou des autres.

Les Turcs

     Leur présence se limitait à 1'entretien de quelques garnisons le long des côtes et sur les îles qui font face à Massawa, essentiellement pour protéger leurs communications sur la mer Rouge menacées par les puissances européennes. Ils n'installèrent aucun centre administratif dans le pays. Plus tard, ils furent remplacées réformes démocratiques, mais Khédives égyptiens, leurs vassaux.


Les Italiens


     Ils se sont installés en 1890 après avoir obtenu une concession sur les salines du Sultanat d Asad. En fait ils imposèrent leur protectorat sur le sultanat et y envoyèrent des soldats. Puis ils occupèrent tout le pays quand les troupes du Khédive furent battues au Soudan par les Mahdistes.

     Après la première guerre mondiale, les Italiens se préparèrent à la colonisation de l'Erythrée ; les colons s'installèrent en grand nombre, les entreprises industrielles se multiplient offrant ainsi des possibilités de travail aux Erythréens et, par voie de conséquence, aident à la création d'une classe ouvrière. Au même moment, on verra apparaître les premiers noyaux de la bourgeoisie locale : des hommes d'affaires et des commerçants qui ignorent leur fonction historico-politique.

     Cette classe va prospérer après la défaite du fascisme et acquérir sous le mandat britannique une conscience politique. Elle se posera en tant que pouvoir national sur la scène politique. Mais c'est surtout avec Mussolini que la colonisation s'intensifia. L'Erythrée devait devenir, selon ses vœux : « le noyau du nouvel empire romain en Afrique ».

     Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, les Italiens ne se préoccupent pas de la population, composée pour 95 % de nomades. Les choses changent lorsque, à l'occasion de la conquête de l'Ethiopie de nombreux paysans érythréens seront incorporés dans l'armée italienne.

     En 1936, 1'Erythrée est rattachée par les Italiens à l'Ethiopie pour former l'Afrique Orientale Italienne. Chassés d'Erythrée par les Anglais en 1941, les Italiens ont renoncé à tous leurs droits sur ce pays par le traité de Paris (1947).

Les Britanniques et les Ethiopiens

     C'est de la période 1942-1952 que date la résistance érythréenne. Jalouse de ses intérêts, la bourgeoisie locale a donné l'impulsion a un mouvement nationaliste qui jouissait d'une grandeinfluence au sein des forces nationalistes sincères qui existaient alors. Cela a marqué le début même de la lutte entre ces forces et le féodalisme éthiopien. Ce dernier utilisait des organisations et des agents, et cela a provoqué nombre de rencontres armées.

     Mais l'Erythrée administrée par les Britanniques faisait déjà l'objet de débats aux Nations-Unies sur une initiative des « quatre grands ». Les Britanniques avaient certes introduit dans le pays quelques réformes démocratiques, mais ils se préoccupaient davantage de leurs intérêts et de ceux de leur allié dans la région, l'Ethiopie, que des Erythréens qui revendiquaient l'auto-détermination et l'indépendance.

L'Erythrée dans le jeu des nations

     Désireuse d'accéder au port de Massawa, l'Ethiopie chercha l'appui des puissances occidentales. Une résolution demandant l'incorporation de l'Erythrée à l'Ethiopie est cependant rejetée par l'Assemblée Générale des Nations-Unies. Par contre, une commission d'enquête composée de cinq membres est envoyée sur les lieux.

     Des solutions proposées et qui allaient de l'indépendance (Guatemala, Pakistan) à la fédération (Afrique du Sud, Birmanie) en passant par l'annexion pure et simple (Norvège), l'ONU a retenu celle de la fédération « sur une base compatible avec le respect de l'autonomie interne des deux pays ».

La Fédération

     Le 20 novembre 1950, c'est cette résolution, présentée par les Etats-Unis et treize autres pays qui est adoptée par l'ONU. L'Erythrée aurait un gouvernement autonome et jouirait de tous les pouvoirs législatifs ou juridiques dans les affaires intérieures.

     Le 15 septembre 1952, date à laquelle ce projet devait entrer en vigueur, les troupes de l'Empereur occupent militairement Asmara, la capitale. Au cours de cette même année, l'Erythrée est soumise par décret à appliquer la constitution éthiopienne. Mais la politique du pouvoir central n'a pas supprimé que les libertés publiques fondamentales en interdisant les partis politiques et le seul syndicat existant dans le pays, montrant ainsi, à qui voulait bien le voir, son ambition colonialiste, et en réprimant dans le sang les manifestations ouvrières de décembre 1952, elle a également détruit la liberté économique du pays, comme le prouve le fait que sous la fédération, une soixantaine d'usines et d'entreprises furent fermées, provoquant un chômage massif et l'émigration de milliers d'ouvriers.

L'annexion

     Haïlé Sélassié avait pourtant ratifié la constitution érythréenne. L'inconvénient, c'est que cette constitution se basait sur la démocratie parlementaire alors que l'empire éthiopien était sous le pouvoir absolu de la féodalité la plus vieille et la plus corrompue du monde et est construit sur l'oppression d'un grand nombre de minorités. Le décret en question intervint donc pour remédier aux choses : il précise pour la première fois et d'une manière officielle « Incorporation fédérale et inclusion du territoire de l'Erythrée dans l'empire éthiopien ». Un autre décret étend à l'Erythrée la juridiction des cours éthiopiennes, rebaptisées cours fédérales.

     Du reste, les arrestations se succèdent, des camps de détention sont créés. La délégation érythréenne qui va plaider sa cause à l'ONU est éconduite, puis emprisonnée à son retour.

     En mai 1953, Addis Ababa reconnaît aux Etats-Unis le droit de construire en Erythrée l'une des plus importantes bases dans le monde, Kagnew, base de transmission spatiale près d'Asmara où sont cantonnés 3500 hommes.

     Jusqu'en 1962, où la fédération sera transformée par l'Ethiopie par décision unilatérale arbitraire en un état unifié, c'est-à-dire jusqu'à la consommation intégrale de l'annexion de l'Erythrée, une sérieuse lutte de classes se livre entre les forces nationalistes et les travailleurs d'une part, et les féodalistes éthiopiens de l'autre.

     Après l'annexion, des milliers d'Ethiopiens sont envoyés en Erythrée. Les postes administratifs, des terres leur sont donnés. Les ressources économiques, minières ou agricoles, les industries de transformation sont organisées suivant les besoins de l'Ethiopie.

     Cette situation nouvelle politiques et psychologiques nécessaires au déclenchement de la lutte armée qui devint inévitable.

Lutte de libération

     En 1961, le FLE, secrètement organisé, confie à Hamid Idriss Awate, l'un de ses chefs, le soin d'organiser la lutte armée dans les montagnes. Déclenchée par 13 hommes, la lutte de libération est aujourd'hui assumée par 10.000 hommes regroupés au sein du FLE.

     Le combat politique et militaire du peuple érythréen s'étend et se renforce. La lutte armée, commencée à l'Ouest, s'est étendue depuis 1965 à toute l'Erythrée, s'organisant dans les provinces militaires auxquelles s'est ajoutée depuis 1967 une nouvelle province militaire à Asmara. L'ensemble est coordonné par un Conseil Politique Suprême organisé en directions politique et militaire.

     Actuellement, plus de la moitié du pays est sous le contrôle du FLE.

     L'OUA qui, pendant longtemps, a ignoré le MPLA (Angola) hésite là aussi à poser le problème érythréen, pendant que l'Ethiopie, passant de l'annexion à l'agression, embauche des sionistes (il y en a 400 dans l'armée impériale), utilise le napalm, brûle les villages et tente de regrouper la population dans des centres de contrôle.

     Mais on ne peut pas ignorer impunément la base de Kagnew et la menace qu'elle fait peser sur cette partie du monde, ni le rôle des Ethiopiens, ni l'assistance militaire sioniste qui s'inscrivent l'un et l'autre dans un contexte impérialiste.

     Cependant, comme le déclarait au journal Africasia un délégué du Front de Libération de l'Erythrée : « tous les patriotes africains devraient se sentir concernés. La libération de l'Erythrée serait déjà par elle-même une perte grave pour l'impérialisme, étant donné sa position stratégique. Mais, ce qui est plus important encore, cette victoire a toutes les chances de déboucher sur la chute du régime éthiopien, avec lequel tomberait un pan entier du système de domination établi sur le continent ».

     Ce que reconnaît la revue américaine US News and World Report, en écrivant : « Les Etats-Unis considèrent l'Ethiopie comme une force nécessaire au maintien de la tranquillité, non seulement dans la région de la corne d'Afrique, mais aussi dans toute l'Afrique noire ».