eïa ? man -maille là !

( théâtre )

pp. 55-56


de auguste macouba

     Cet écrivain martiniquais nous offre remarquablement une fresque vivante de ces ghettos insulaires que sont, par le sang qui court, nos palpitantes Antilles, sauf Cuba où l'homme peut encore avoir un rendez-vous désaliénant avec la vie : il s'agit d'une pièce de grande qualité qui intègre avec force, dans un univers de haute poésie, des circonstances d'incandescente actualité. C'est la musique même de ce tiers monde américain qui apprend chaque jour que son avenir dépend uniquement de la violence de nos bras rassemblés.

     Dans cette pièce, la Caraïbe choisit virilement ses vérités. Et cette opération ruisselle en fortes images, en grands boucans de mots justes qui ont magnifiquement raison. C'est tout un vieux dossier que cette pièce ouvre pour instruire le procès de nos maîtres. Je ne devine pas qui est l'auteur, mais je le vois en pleine possession de ses moyens, et la Martinique — comme toute la Caraïbe haletante qui a besoin d'éponges pour étancher son sang — possède dans ce nouveau poète des poumons au grand souffle, et, s'il vous plaît, de toute beauté ! Il y a une sève bien antillaise qui monte dans ces pages avec pour notre santé des choses essentielles, des fraîcheurs fécondantes, comparables à la rosée que sut gouverner le cœur de Jacques Roumain, et que gouverne de nos jours celui d'Aimé Césaire, le martiniquais capital, dont le flux et le reflux de grande marée, dans la cité, peuvent être un objet de discussion ou même de contestation, mais qui demeure, par son œuvre en tous points admirable, celui qui a irrigué avec le plus de force fertilisante le terreau accablé de nos Antilles !

     Chez l'auteur de cette pièce, la négritude est ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, c'est-à-dire, une patience dynamique comme chez Césaire, une « fête de violence », une recherche passionnée de l'identité de l'homme à peau noire, identité que la colonisation a traînée dans la boue et le sang, et qui ne sait plus, depuis plus de trois siècles, la joie de courir les pieds nus, au matin, sur le sable de la vie, aux Antilles ! Il est à mes yeux naturel que cette pièce, dans la quête qui est la sienne, soit offerte comme un volcan en pleine activité. N'est-ce pas aujourd'hui la seule manière d'être qui nous est laissée, après le pillage de notre Etre même, la seule route qui monte à nous-mêmes, le volcan bien antillais ou africain, ou afroaméricain ! Nous vivons, sans l'avoir voulu l'âge des volcans de la négritude qui, soit dit en passant, profiteront des mêmes laves qui brûlent nos ennemis traditionnels pour brûler aussi la négritude d'espèce vénéneuse qui prolifère autour de la première, et qui, avec les Duvalier et autres satrapes, fournit des alliés à la lâcheté, à la lésine, à toutes les servitudes qu'on colle à la peau des opprimés.

     Ce sont les réflexions qui me viennent à la première lecture de ce texte. Pour une véritable préface, il faudrait du temps, et un accord plus rigoureux et plus profond avec la belle parole de l'auteur de « Eïa ! Man-maille là ! », avec le cri végétal qu'on entend entre les lignes, avec cette Martinique véhémente qui accuse, et si belle au milieu de ses anathèmes, si sensuelle au milieu de ses éclats, qu'on a envie de l'embrasser en pleine bouche et aux seins ! Ce n'est qu'une simple impression de lecture, faite un dimanche de Cuba, sous l'œil d'un jeune bananier et au milieu des écluses d'une révolution où commencent tous nos pays américains, tous nos cris, tous nos chants, nos révoltes, nos volcans, et le Che Guevara, qui est le bien commun, la géométrie de notre avenir, qui a sorti ce continent de l'hibernation et du rituel des dogmes politiques pseudo-marxistes, pour restituer à elle-même l'imagination révolutionnaire. Je salue donc cette Pièce comme elle est offerte à notre ferveur et à l'aventure de notre esprit, « la voile en plein vent de l'histoire nouvelle » des Antilles et de tout le tiers monde américain.

     Je ne sais si ces mots jetés en vrac peuvent remplacer l'impossibilité où je suis d'écrire, par faute de temps, la préface que mérite ce livre, mais je remercie vivement l'auteur pour son geste et je lui souhaite un public digne de sa poésie et de ses colères. (1)

                                                                                                 rené depestre

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(1)     « Eïa ! Man-maille là ! » Editions P.J. Oswald - Collection Théâtre Africain 3e trimestre 1968
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