luttes ouvrières

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Dans le système esclavagiste de la Grèce antique dont la philosophie et la pensée sont l'ancêtre de la Culture Occidentale, le terme de « poiésis » désignait aussi bien l'activité des artisans, charpentiers, forgerons, tous métiers pratiqués par les esclaves, que les récitants, devins, hérauts et autres « poètes ». Tous créaient pour les maîtres, la finalité de leur œuvre leur échappait.

Aussi ne s'étonnera-t-on pas que cette revue créée par des « poètes » se tourne vers d'autres « poètes », ignorés. Ceux qui créent de leurs mains, ceux qui transforment la nature en produits humains. « De leurs mains »? Les « intellectuels » issus des philosophes de l'esclavagisme dénient aux mains toutes facultés créatrices, toute connexion enrichissante à la pensée. Là encore, que cette revue soit le point de rencontre de créateurs dans les arts « plastiques » permettra de comprendre le mépris que nous opposons à cette culture de propriétaires d'esclaves.

Mais si cette rubrique s'intitule « luttes ouvrières », ce n'est pas seulement parce que nous connaissons et nous reconnaissons la valeur du travail manuel. C'est parce que la reconquête de la finalité de l'œuvre créatrice par les créateurs reste, en ce qui nous concerne, à faire. C'est parce que nous savons que de cette reconquête, les ouvriers sont les premiers artisans, les premiers « poiétes ». Aujourd'hui, la « praxis » jadis réservée aux maîtres, et qui s'était ainsi vidée de son sens, est à leur portée, à notre portée. Le devoir des intellectuels militants est de rendre accessible cette « philosophie de la praxis » qui démontre le rôle primordial de la classe ouvrière.

Mais nous ne venons pas, ici, en « éducateurs » de la classe ouvrière. Nous pensons, au contraire, que les intellectuels, les étudiants, ont à réapprendre le vrai sens du travail, de la finalité de la culture que l'enseignement hérité de l'Occident a si profondément déformés. La construction d'une culture nationale nouvelle passe par ce chemin. Est-il nécessaire de préciser que les animateurs de cette revue sont conscients, dans ce domaine, de leurs insuffisances ? Aussi souhaitent-ils que cette rubrique devienne une tribune culturelle où les militants ouvriers viendront « éduquer les intellectuels ».

C'est dans cet effort commun que les ponts entre travail manuel et travail intellectuel seront jetés, préparant ainsi les conditions pour l'épanouissement dans notre pays de cette culture nouvelle, de cet Homme nouveau, dans le cadre de l'émergence du monde arabe.

Voici quelques thèmes que nous nous efforcerons de développer dans cette rubrique, en tant que telle ou en liaison avec la rubrique
« Idéologie ».

— La classe ouvrière marocaine et le combat pour l'indépendance nationale,

— L'effort et les luttes de la classe ouvrière pour la construction d'une économie indépendante et contre le néo-colonialisme,

— La main-d'œuvre maghrébine en Europe et la prolétarisation des campagnes,

— La pratique sociale, critère de la connaissance,

— La « praxis » créatrice et le rôle de la main,

— L'aliénation du travail ouvrier et la conscience de classe,

— L'aliénation du travail intellectuel et son dépassement dans l'intégration aux luttes ouvrières,

— La réunion du travail manuel et du travail intellectuel et le rôle de la classe ouvrière comme « éducatrice des intellectuels ».

                                                                                                     a. serfaty