chronique

pp. 58-60

exposition mohammed khadda (1)

 

par malek alloula


     On pénètre dans le monde de Khadda non par effraction mais par un brusque arrachement qui transmue toutes valeurs acquises ou héritées et qui invite sans cesse à un réajustement de la perception.

     Si le peintre se tient en cette pointe avancée, où signes et couleurs précèdent l'aurore d'un jour à venir, c'est pour bâtir un langage nouveau — et pourtant ancestral — dont la trame parcourt une terre acquise de haute lutte et qu'il est seul à maintenir dans sa profusion.

     Cette lutte, chaque toile de Khadda en atteste l'existence sans jamais la priver de son mouvement et de sa fugacité illuminante.

     Cette vie, jamais trahie et qui s'ancre au plus profond niveau, trouve ici les signes précurseurs qui la cernent dans ce qu'elle a de plus énigmatiquement fuyant.

     On comprend, dès lors, que le choix d'une expression picturale n'obéit à aucune mode du jour, ni à aucune facilité, mais devient ce moyen privilégié de la recherche d'une vérité toujours se dépassant.

     S'il faut trouver une œuvre forte et précaire à la fois, celle de Khadda nous en offre l'exemple manifeste.

     Forte dans sa démarche, dans son mouvement qui la portent en ce point de fusion solaire où les couleurs éclatent sous la poussée d'un questionnement incessant et essentiel. Forte aussi dans son unité non plus fondée sur la répétition mais sur le renouvellement profond qu'exige toute œuvre digne de ce nom.

     Précaire sans doute parce que cette victoire momentanée, qui n'est jamais savourée pour elle-même, constitue une halte où s'équilibrent le nouvel élan, la nouvelle marche qui, chaque fois, remettent en question l'acquis.

     D'une toile à l'autre, on perçoit chez Khadda une exigence lucide qui est en même temps celle d'un peintre et celle d'un poète.

     Peintre, Khadda .nous l'affirme par cette maîtrise qui, indéniablement, le porte au devant de notre horizon culturel et qui, dès lors, avalise le rejet d'une figuration jugée incompatible avec le dessein ultime.

     Poète, il nous parle, mieux qu'un autre, ce langage d'une terre dont il retrouve les emblèmes égarés et qu'il dispose sous nos yeux en des teintes où l'ocre, le rouge, le bleu et le noir retiennent dans leur enchevêtrement hiéroglyphique une lumière omniprésente qui est notre paysage mental.

     Mais, au-delà de sa force et de sa précarité, au-delà de sa poésie et de son exigence, la peinture de Khadda nous dit une inquiétude permanente qui lui donne une dimension humaine et abolit l'image du peintre enfermé dans son univers ou son atelier.

     Généreuses, les toiles de Khadda vont toujours au devant du peuple pour nouer le dialogue dont l'instauration demeure l'objectif dernier.

     C'est cette capacité de parler et d'écouter qui définirait peut-être le mieux la peinture de Khadda.

     Dialoguer non plus au niveau de poncifs et de lieux communs déshonorants mais à un niveau ultime où a lieu la plus forte enchère qui soit : celle d'une œuvre et d'une vie à la recherche de leur sens le plus profondément humain. Nul mieux que Khadda n'a porté ce besoin à un tel point d'exigence et de lucidité.

     S'il réalise et appelle de ses vœux une peinture monumentale c'est parce qu'il est certain que seul le verdict du plus grand nombre est l'amplificateur légitime d'une œuvre qui tient par toutes ses fibres à ce substrat collectif.

     L'œuvre rejoignant la vérité d'où elle est partie bouclerait le cercle en ouvrant « la voie royale » qui n'est plus celle d'une aristo-cratie désuète mais celle d'un peuple reconnu et se reconnaissant.

     C'est pour cela que les toiles de Khadda ne sont plus objet de délectation mais jalons en ce lieu d'éveil où tout est à naître avec le jour prochain. C'est pour cela aussi qu'elles ne seront jamais objet d'indifférence.

     Nous avons voulu ces lignes paroles sur une peinture. Nous demeurons, cependant, persuadés qu'à partir d'un certain seuil de qualité, où se tiennent depuis longtemps les toiles de Khadda, toute parole qui ne serait pas cette peinture même tournerait sans cesse dans l'ornière de la paraphrase.

     N'est-ce pas là le signe qu'une œuvre a formé son propre langage supérieur à tout autre ? Si notre propos reste, malgré sa sincérité objective, sur les premières marches de cette œuvre nous voulons y voir l'illustration de la vérité d'un art devenu majeur au sens le plus plein et le plus prometteur du terme.


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(1)     Exposition tenue du 30 décembre 1967 au 15 janvier 1968 à la Galerie de l'UNAP. Alger.
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mohammed khadda

 

né le 1 Mars 1930 à Mostaganem (Algérie)

Expositions de groupe

            « Cimaise de Paris »
            « Club des 4 vents » Paris
            « Galerie du Gouvernail » Paris
            « Savage Galery » Londres
et à Alger, New York, Abidjan, Paris, Sofia, Tunis, etc...

Participe aux salons

            « Réalités Nouvelles » Paris 1955, 57, 58
            « Jeune Peinture » Paris 1955
            « Salon des Beaux-Arts » Paris
            U.N.A.P. Alger 1965

Expositions particulières

            Galerie « Transposition » Paris 1961
            Galerie de l'U.N.A.P. Alger 1963
            « L'Œil Ecoute » Lyon 1964
            Galerie « Pilote » Alger 1965
            Galerie de « Z B » Vienne (Autriche) 1967
            Galerie de l'U.N.A.P. Alger 1968
            Centre Culturel Français Alger 1968

Œuvres acquises par

            Le Musée d'Art Moderne - Paris
            Le Musée National des Beaux-Arts - Alger
            Les Musées Nationaux - La Havane